"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"
Louis Ferdinand Céline
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dimanche 3 mai 2020
Charles Prats: «La fraude sociale, c’est 30 milliards d’euros par an»
par Alexandre Devecchio - Le Figaro 30 avril 2020
Ancien magistrat de la Délégation nationale à la lutte contre la fraude (DNLF) au ministère du Budget, Charles Prats estime que 2,5 millions d’individus «fantômes» bénéficieraient de 30 milliards de prestations sociales indues.
LE FIGARO.- L’Allemagne consacre au financement de ses dépenses de santé une part de richesse équivalente à celle de la France, affiche une pression fiscale moindre, et pourtant, son système de santé a mieux résisté que le nôtre. Comment expliquez-vous ce paradoxe?
Charles Prats.- L’Allemagne a beaucoup plus de lits d’hospitalisation par rapport à sa population que la France, et il y a plus de médecins et moins de personnels administratifs dans les établissements de santé. Schématiquement, en Allemagne, on dépense plus d’argent pour soigner que pour administrer. En France, le débat se focalise souvent sur les impôts. On se chamaille pour savoir qui va se faire taxer et de combien. La question fondamentale devrait d’abord être: comment l’argent public est-il dépensé?
Les spécialistes évoquent pour la France 56 % de dépense publique par rapport au PIB. Où va l’argent?
Regardez l’état de nos armées, de notre police, de notre justice… Ces institutions vous semblent-elles dignes de ce qu’elles devraient être en France? Les fonctionnaires vivent depuis des années les restrictions et le gel des rémunérations. L’hôpital est un exemple criant de cette indigence de nos services publics. Et pourtant, notre dépense publique est la plus élevée. Il n’est pas besoin de chercher bien loin: elle a explosé en France parce que les dépenses de protection sociale ont explosé, tout simplement! Et l’on peut craindre que ce soit pour de très mauvaises raisons…
Justement, peu avant la crise du coronavirus, vous avez dénoncé la fraude aux prestations sociales. Pourquoi l’estimation de l’ampleur de cette fraude rencontre-t-elle tant de difficultés?
Cet exercice est toujours compliqué, mais on peut par exemple facilement comparer le nombre théorique maximal de bénéficiaires avec ceux qui touchent réellement des prestations. C’est d’ailleurs la méthode de travail retenue par l’Inspection générale des finances (IGF). Selon les documents que j’ai donnés à la commission d’enquête parlementaire en cours sur le sujet, 12,4 millions de personnes nées à l’étranger ou dans un territoire d’outre-mer ont bénéficié l’an dernier de prestations sociales (allocations, pensions de retraite, chômage, maladie…) alors qu’il ne devrait en exister qu’un maximum de 9,9 millions selon les chiffres de l’Insee et des organismes sociaux. Il y a donc environ 2,5 millions de fantômes qui passent chaque mois au guichet pour toucher des sous! Si ces 12,4 millions de personnes existaient vraiment, cela signifierait par exemple que 42 % des allocataires des caisses d’allocations familiales seraient nés à l’étranger. J’ai donné ces documents et informations à l’Assemblée nationale le 3 mars dernier. Le ministère des Affaires sociales et les organismes sociaux se sont depuis réfugiés dans un silence gêné, personne ne commentant ces chiffres provenant du gouvernement lui-même dans une réponse à une question de contrôle publiée au Journal officiel.
Comment arrivez-vous au chiffre de 30 milliards d’euros pour la fraude sociale aux prestations?
C’est un enjeu potentiel de fraude. Le montant total des dépenses annuelles de protection sociale s’élève à 787 milliards d’euros pour 66,5 millions d’habitants, soit 11.800 euros par personne. L’enjeu annuel pour les 2,5 millions d’individus «fantômes» bénéficiant de prestations s’élève donc à près de 30 milliards d’euros auxquels il faut rajouter les autres types de fraudes sociales car ces 30 milliards ne concernent que la fraude potentielle à l’immatriculation sociale!
Qui sont les bénéficiaires de cette fraude sociale?
Quand on fait face à 2,5 millions de fraudeurs, tous les cas existent! On peut avoir des individus créant des identités fictives en grand nombre, comme cette famille roumaine qui en avait créé 1200 dans le Nord en 2018 pour escroquer 1,7 million d’euros d’allocations. Ou bien les immigrés clandestins qui créent des identités européennes pour bénéficier de notre système social. En 2011, sur l’échantillon de faux papiers d’origine étrangère, 47 % étaient soi-disant algériens, 27 % marocains, 6 % congolais et 3 % maliens. Mais attention, la nationalité du fraudeur peut être très différente de celle du document falsifié, tout fraudeur pouvant dupliquer de nombreuses identités fictives étrangères pour escroquer la sécu.
Comment expliquer que gouvernements successifs et médias se concentrent davantage sur la fraude fiscale?
Évoquer la lutte contre la fraude fiscale, qui coûte très cher à nos finances publiques, participe de la «chasse aux riches»! À l’inverse, la lutte contre la fraude aux prestations sociales tétanise décideurs politiques et haute administration qui ne veulent pas être accusés de «faire la chasse aux pauvres et aux étrangers». Pour certains, la fraude aux prestations sociales relève même de la «fake news» et le simple fait d’aborder ce sujet ferait le jeu de l’extrême droite. Il y en a même qui excusent cette fraude sociale au nom de l’existence de fraudes fiscales!
Ces contrevérités assénées par les «fraudosceptiques» ont heureusement été «fact checkées» par les travaux de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Sans vouloir distribuer des bons points aux parlementaires, reconnaissons tant l’action décisive de Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, pour avoir imposé cette commission d’enquête, que le travail titanesque des différents députés de tout bord politique sur ce sujet, on le voit, transpartisan. C’est à la suite de cette enquête que le député européen Jean-Paul Garraud (RN) a saisi le procureur national financier. Le décideur politique qui osera mener cette bataille gagnera à coup sûr la reconnaissance de nos concitoyens.
Que préconisez-vous pour lutter efficacement contre cette fraude sociale multiforme?
L’État doit recertifier tous les numéros de Sécurité sociale en intégrant les empreintes digitales de chacun. Ainsi, on stoppera massivement les fraudes en évitant les identités multiples pour un même individu, l’utilisation d’une même carte Vitale par différentes personnes ou encore les clandestins travaillant sous l’identité d’un tiers en situation légale. Cette vérification biométrique peut être mise en place en peu de temps si l’on s’en donne la volonté politique. En cette période de confinement due, au coronavirus, on ne peut pas le faire. Mais il faudra adopter la biométrie dès que le confinement sera levé pour permettre de mieux lutter contre la fraude et créer un véritable «FBI de lutte contre la fraude sociale» comme cela avait été proposé en 2012. Ce dispositif ne peut pas être confié aux seuls organismes de protection sociale qui n’ont pas la culture répressive. On n’attrape pas les bandits avec des «conventions d’objectifs et de gestion»! Il faut donc donner cette compétence au ministère du Budget qui aurait toute autorité opérationnelle sur les contrôleurs des organismes de protection sociale et sur les comités départementaux antifraude. Cette réforme administrative simple peut être faite avant la fin de l’année.
Réformer en urgence le dispositif de lutte contre la fraude aux prestations sociales est-il vraiment prioritaire à l’heure de la crise du coronavirus?
Cette réforme est d’autant plus urgente dans le contexte actuel! Cette crise coûtera plusieurs centaines de milliards à la France et des millions d’emplois aux Français. Lorsque arrivera l’heure de l’impôt-coronavirus - parce que cette heure viendra -, personne ne comprendrait que l’on continue de laisser la fraude aux prestations sociales allègrement prospérer!
La majorité des réformes structurelles de ces quarante dernières années, conduites par Bercy, visent à réduire l’État providence. Mésestime-t-on le poids de l’État social? Quelle est la différence entre État providence et État social?
L’État social recouvre l’ensemble des régulations poursuivant les objectifs de protection et de justice sociale, ce qui est bien plus large et profond que l’État providence que l’on peut cantonner à la protection sociale, par exemple l’assurance-chômage, le RSA, les allocations familiales… L’État social recouvre de larges pans de l’action publique: la répartition fiscale avec notamment les niveaux de redistribution, la législation du travail, l’étendue des services publics… La France est un véritable archétype de l’État social, même si ce dernier a reculé dans le domaine des services publics industriels et commerciaux - transports (Air France, la SNCF ou, plus récemment, Aéroports de Paris), autoroutes, télécoms, etc. -, plus sous l’impulsion du droit européen que de Bercy, ce qui a eu un fort impact, parfois négatif, pour les citoyens et n’a pas en réalité réduit le coût du «Deep Social State» français.
Celui-ci s’est renforcé en matière de fiscalité avec la concentration de l’impôt progressif sur de moins en moins de contribuables, alors même qu’une étude de l’Institut Vauban a démontré que l’impôt proportionnel était considéré comme le plus juste par plus de 80 % des Français. Et surtout que dire du niveau de redistribution «sociale», près de 800 milliards d’euros chaque année, on l’a vu!
Face aux nouveaux défis politiques et financiers posés par la crise du coronavirus, on ne pourra pas faire l’économie d’une grande réforme fiscale de relance: mieux d’impôt et plus réparti, car une fiscalité efficace à laquelle adhèrent les contribuables est une fiscalité à faible taux et large assiette, dans un cadre redistributif plus rigoureusement circonscrit et contrôlé.
Faut-il également réformer l’État bureaucratique? Peut-on dire que le poids de la technostructure explique en partie la gestion, souvent jugée illisible, de cette crise?
S’il y a bien une chose qui ronge l’efficacité de l’action publique, c’est la bureaucratie. On n’en fera jamais une aussi juste description que la «maison qui rend fou» dans Les Douze Travaux d’Astérix. Nous voyons aujourd’hui malheureusement à quel point la bureaucratie peut parfois s’avérer hors sol en temps de crise. Un «État profond» inefficace qui a mis l’autorité politique devant le fait accompli dans une situation intenable avec une communication de crise illisible une fois que les masques sont tombés. Regagner la confiance du peuple français va être compliqué…
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