Il
n'est pas sûr, il est peut-être même improbable, au vu des sondages
d'aujourd'hui, que Nicolas Sarkozy soit réélu dans six mois pour un
second et dernier mandat. Les mesures de rigueur annoncées par François
Fillon ne sont pas accueillies - c'est le moins que
l'on puisse dire - par un enthousiasme excessif.
Mme
Le Pen à l'extrême droite, M. Bayrou au Centre, Mme Aubry à gauche, M.
Mélenchon à la gauche de la gauche se déchaînent contre elles. Les
syndicats les condamnent. Une bonne partie de la droite modérée
elle-même ne peut pas se résoudre à se prononcer en faveur d'un
président qui, à ses yeux, a avili et compromis ses fonctions par
son comportement.
La victoire de François Hollande est à peu près acquise, et elle risque
d'être éclatante. Le moment est idéal pour se déclarer sarkozyste.
La
question n'est pas de savoir qui l'emportera en mai 2012. On a
longtemps
été convaincu dur comme fer que ce serait M. Strauss-Kahn. On a pu
croire que ce serait Mme Aubry. On a même pu imaginer que, par un coup
du sort, ce serait Mme Le Pen. Il n'est pas tout à fait
exclu que M. Bayrou, M. Mélenchon, M. Montebourg se soient monté le
bourrichon jusqu'à se persuader de leur chance de l'emporter.
Tout
sauf Sarkozy. N'importe qui sauf Sarkozy. Ce sera M. Hollande. François
Hollande est un parfait honnête homme. Il est intelligent, charmant,
cultivé, et même spirituel. Il y a chez cet homme-là un mélange de doux
rêveur et de professeur Nimbus égaré dans la politique
qui le rend sympathique. Il est mondialement connu en Corrèze. Ce
n'est pas lui qui irait courir les établissements de luxe sur les
Champs-Élysées, ni les suites des grands hôtels à New York ou à
Lille, ni les yachts des milliardaires.
Il
ferait, je le dis sans affectation et sans crainte, un excellent
président
de la IVe République. Ou plutôt de la IIIe. Par temps calme et sans
nuages. Il n'est jamais trop bas. Mais pas non plus trop haut. C'est une
espèce d'entre-deux : un pis-aller historique. Ce
n'est pas Mitterrand : ce serait plutôt Guy Mollet. Ce n'est pas
Jaurès ni Léon Blum : c'est Albert Lebrun. Ce n'est pas Clemenceau :
c'est Deschanel. Il parle un joli français. Et sa syntaxe est
impeccable. On pourrait peut-être l'élire à l'Académie française. Ce
serait très bien. Mais en aucun cas à la tête de la Ve République, par
gros temps et avis de tempête.
C'est
vrai : Sarkozy en a trop fait. Hollande, c'est l'inverse. Car n'avoir
rien fait est un immense avantage, mais il ne faut pas en abuser. Il
n'est
pas exclu, il est même possible ou plus que possible, que M.
Hollande soit élu en mai prochain président de la République. C'est qu'à
eux deux, M. Hollande et le PS, qui sont assez loin d'être
d'accord entre eux - je ne parle même pas de M. Mélenchon ni de Mme
Joly dont ils ont absolument besoin pour gagner et dont les idées sont
radicalement opposées à celles de M. Hollande - ont des
arguments de poids : la retraite à 60 ans (quand la durée de vie ne
cesse de s'allonger), 60.000 nouveaux fonctionnaires (quand il s'agit
surtout de réduire les dépenses publiques), 30% de baisse
sur les traitements du président et des ministres (même M.
Jean-Marie Le Pen, de glorieuse mémoire, n'a jamais osé aller aussi loin
dans le populisme et la démagogie). Avec des atouts comme
ceux-là, on a de bonnes chances de gagner.
Aussi n'est-ce pas dans la perspective de l'élection de 2012 que je me
situe.
>
C'est avec le souci du jugement de l'histoire. M. Sarkozy, autant le
reconnaître, a fait pas mal d'erreurs. À voir comment se présente la
campagne d'un Parti socialiste qui semble n'avoir pas appris
grand-chose des leçons de son temps, ce sera bien pire avec lui
qu'avec M. Sarkozy. Les déclarations d'intention ne valent rien. Il
faut des exemples vivants. M. Zapatero, en Espagne, est un homme plus
qu'estimable. Il est socialiste. Le chômage en Espagne
est plus du double du nôtre. M. Papandréou en Grèce est socialiste.
Est-ce le sort de la Grèce que nous souhaitons pour la France? M.
Sarkozy a été plus attaqué, plus vilipendé, plus traîné dans
la boue qu'aucun dirigeant depuis de longues années. Il a pourtant
maintenu le pays hors de l'eau au cours d'une des pires crises que nous
ayons jamais connues. Il n'est même pas impossible que
Mme Merkel et lui aient sauvé l'Europe et l'euro.
Pour
affronter le jugement de l'histoire, je choisis le camp, à peu près
cohérent, Sarkozy-Fillon-Juppé contre le camp, incohérent jusqu'à
l'absurde, Hollande (Hollande président ? On croit rêver, disait Fabius)
-Aubry-Joly-Mélenchon. Bonaparte Premier consul
prétendait que le seul crime en politique consistait à avoir des
ambitions plus hautes que ses capacités. Je suis sûr que François
Hollande lui-même a des cauchemars la nuit à l'idée d'être
appelé demain à diriger le pays avec le concours des amis de toutes
sortes et étrangement bariolés que lui a réservés le destin.
Je
veux bien croire - je n'en suis pas si sûr - que pour 2012 les dés sont
déjà jetés, que les handicaps du président sortant sont bien lourds
pour être surmontés, que le retard est trop rude pour être rattrapé.
J'imagine très bien l'explosion d'enthousiasme sur la
place de la Bastille ce soir de mai 2012 où l'élection de M.
François Hollande à la magistrature suprême sera enfin annoncée. Je me
demande seulement dans quel état sera la France en 2014 ou
2015.
Jean d'Ormesson.