"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

lundi 2 décembre 2019

"Qu’en est-il d’un pays qui envoie ses plus courageux combattre les racines d’un mal qu’il semble laisser prendre racine, sans beaucoup de résistance, sur son propre sol ?"






En ce jour d'hommage de la France à ses fils tombés au Mali, je souhaitais vous faire partager cet excellent texte de l'Abbé Christian Venard, prêtre et aumônier militaire. (parution FigaroVox du 27 novembre)


 


"Mardi. Très tôt, la sonnerie du téléphone retentit: «Padre, es-tu au courant, que treize de nos gars sont morts au Mali?». À cette heure matinale, je ne sais rien. Si la terrible nouvelle est avérée, en ce moment même doit se dérouler le travail intense et délicat des régiments concernés, des états-majors, pour prévenir chaque famille. Des images défilent. Ces moments à jamais gravés dans ma mémoire, quand on doit annoncer l’irrémédiable à une épouse, à des enfants, à des parents. Il est mort. Au combat. Là-bas, si loin. La veille encore il téléphonait aux siens en plaisantant. Il était parti voilà plusieurs semaines, embrassant ses proches et les rassurant sur son retour certain. Quelques messages à des amis militaires. La confirmation arrive, sous forme d’un appel très bref, d’un frère d’armes m’intimant évidemment la discrétion la plus totale. Il égrène la triste litanie de ces treize noms, que dans quelques heures les Français s’approprieront.

Dès les premières minutes qui ont suivi l’annonce officielle, les médias ont insisté sur le lourd bilan payé en une seule journée par l’armée française. Faut-il rappeler que ce n’est pas le nombre qui fixe la noblesse de leur sacrifice au service de la Patrie? Pourquoi les réactions furent nettement moins vives, quand le 4 novembre dernier le brigadier Ronan Pointeau a été tué, au Mali aussi? Faut-il le poids des chiffres, pour que nos concitoyens, nos médias, perçoivent le prix du sang versé, celui des sacrifices consentis par nos camarades militaires, pour la défense des intérêts de notre pays, pour la paix de notre Patrie? La moindre goutte de sang versé par un seul mort au combat, par un militaire blessé, devrait faire réagir notre Nation entière comme un appel au sursaut, à la dignité, à la solidarité, à la compassion. Qu’il soit un, qu’ils soient mille, c’est le même noble engagement au service de leurs compatriotes qui les a conduits au sacrifice ultime.

Aucun d’eux n’est une victime. Un militaire qui meurt pour sa Patrie, un militaire blessé physiquement ou psychiquement, n’est pas et ne sera jamais une victime. C’est un héros: un homme qui a choisi, librement, de faire de sa vie un don pour son pays, une oblation. Et non de vivre dans la jouissance de la possession, entouré du confort de la vie urbaine. «L’accomplissement du devoir sacré de la mission au service des armes du pays.» Les mots sont trop forts, l’humilité du soldat lui interdit bien souvent de les formuler ainsi. C’est pourtant la réalité de ce qui, chaque matin, lui donne la force de se lever et de repartir au combat. Chacun de nos quatorze camarades décédés le mois écoulé était un jeune homme, ayant réfléchi au sens ultime de son engagement. Il était fier de servir, déterminer à remplir une mission. Une démarche qui ne peut se vivre et se comprendre qu’au sein d’une communauté, d’une famille: l’armée. Cette conviction, qui s’attache aux tripes durant les périodes d’entraînement, qui s’inscrit dans la chair au cœur même de l’OPEX (opération extérieure), c’est elle qui nous donne d’accepter l’horizon du sacrifice ultime de la mort, mais plus encore chaque jour, la force de vivre! Car le soldat ne part pas à la mort, il ne l’évoque guère d’ailleurs, il part au combat, fier d’appartenir à sa communauté militaire, animé non par l’excitation de l’adolescent sur sa console de jeux, mais par la gravité de celui qui sait que vie et mort sont des enjeux trop puissants pour ne pas être pris au sérieux, malgré la soif de l’action. C’est ce que j’ai partagé tant de fois avec eux, au cours de tant d’OPEX sur tous les théâtres où la France nous a engagés.


Car c’est bien de cela qu’il s’agit. C’est nous, c’est-à-dire la France, qui, par l’intermédiaire des autorités civiles, politiques, militaires légitimes les envoyons: du Mali au Kosovo, de l’Afghanistan à la Côte d’Ivoire, et sur tant d’autres terres étrangères. Partout, depuis des années, nos militaires sont engagés pour lutter contre cette nouvelle idéologie mondialisée qu’est l’islamisme. Loin des habituelles et indécentes interrogations politiciennes (même si nous n’avons pas à être, y compris nous militaires, naïfs sur les intérêts économiques et stratégiques qui se mêlent aussi dans ces engagements géostratégiques), la Nation ne devrait-elle pas, devant les treize cercueils qui bientôt lui seront présentés sur la terre sacrée de la Cour d’honneur des Invalides, se lancer dans une introspection? Qu’en est-il d’un pays qui envoie ses plus courageux enfants à la mort... combattre les racines d’un mal qu’il semble laisser prendre racine, sans beaucoup de résistance, sur son propre sol?

Nos quatorze camarades militaires sont morts dans l’exercice de la vocation qu’ils avaient choisie. Une vocation noble pour de nobles fils de France. Leurs parents, leurs veuves vivront-ils, leurs enfants grandiront-ils, en bénéficiant de la paix pour laquelle ils sont partis combattre? Cette question s’adresse à nos hommes et femmes politiques et à nos chefs militaires. Mais c’est aussi chaque Français, chaque Française, qui est invité, quelle que soit sa place au sein de la Nation, à s’élever à la hauteur de ces jeunes héros morts pour la France."











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