"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

dimanche 5 juin 2022

« Bien plus que la Californie, le Far-Wesh ! »

 



la chronique de Gaspard Proust

Les Parisiens qui me liront me comprendront : ils savent à quel point c’est pénible de voir quelqu’un de la famille émettre le souhait de venir passer quelques jours dans la capitale. Dans ses yeux brille une déambulation légère ponctuée de rencontres avec l’Histoire et le shopping ; dans les miens, la fatigue d’aller admirer l’atelier créatif qu’est devenu le Paris d’Hidalgo, notre baronne Haussmann de la fulgurance végétale et du compas en mousse.

Hélas, cette pression se fait de plus en plus forte. Car depuis que le Président a décrété que la Californie était à dix minutes en RER des Tuileries, la force d’attraction de l’Île-de-France devient tout simplement irrésistible. Déjà que le combo Trocadéro-Chapelle-Stalingrad faisait bien rêver…​

Bien entendu, cette Californie se mérite. Parler la langue locale y est un plus. Il s’agit d’un mélange harmonieux de français, d’anglais et de wesh-wesh qu’on pourrait assimiler à une sorte de yiddish pour camps d’entraînements d’Al-Qaida. Ainsi, pour dire « un, deux, trois » on dira bien « one, two, three » mais le chiffre quatre sera remplacé par l’exclamation « Viva l’Algérie ! ». C’est une subtilité, il en existe d’autres comme l’apostrophe « Donne ton 06 la gazelle sale pute » dont l’apparente rustrerie doit avant tout être considérée comme l’expression saine d’une âme poétique cherchant un débouché dans le rap à texte. Les Californiens les plus francophiles n’hésiteront pas à ponctuer leurs saluts à la maréchaussée par des « La France, j’la nique ». Déroutant de prime abord, mais le touriste aurait tort de prendre cela pour des insultes : existe-t-il un amour plus fort que celui qui exprime de manière si authentique son désir de faire un enfant à Marianne ?

Visionnaire, le président de la République a tenté de modérer l’engouement touristique planétaire à venir en précisant que la Seine-Saint-Denis, c’était certes la Californie, mais sans la mer (sans le Pacifique aurait été géographiquement plus juste mais politiquement moins habile). On a envie de lui dire : qu’importe la mer, tant qu’on a les requins ! Et la finale de la Ligue des champions l’a prouvé de manière magistrale. Quelle biodiversité ! On connaissait les poissons volants, on découvre les requins grimpants ! Et quel régime alimentaire étonnant ! iPhone, Rolex, sacs de luxe : après les carnivores et les omnivores, voici les luxovores ! Darwin n’en a pas fini de se faire la toupie dans sa tombe ! Ce n’est plus la Californie, c’est les nouvelles Galápagos !

Parcourant ces lignes, cher lecteur, tu te poses évidemment la question : mais comment s’y rendre au plus vite ? Rien de plus simple. Les transports y sont très bien organisés et afin de favoriser la convivialité entre visiteurs, les services se mettent régulièrement en grève lors des grandes affluences. Oui, ce qui compte ici, c’est d’abord l’humain.

Certes, face à la déferlante touristique, il existe encore des points à améliorer. C’est un détail, mais à l’image des plongées en cage en Afrique du Sud, il ne semble pas très heureux d’enfermer les touristes avec les requins lors des immersions dans le RER. Chacun sa cage, c’est peut-être plus sûr. Car il faut être honnête, les services de sécurité sur place se cherchent encore. À l’image de la population cultivant un esprit baba cool – c’est-à-dire Hanouna friendly –, la police est composée majoritairement d’anciens coiffeurs qui ont tendance à oublier qu’ils n’ont plus de laque à cheveux dans leurs bombes lacrymo.

Mais qu’importe, la Californie française possède ce je-ne-sais-quoi qui fait qu’on lui pardonne tout. Qui fait que nous nous souvenons tous d’avoir un jour dansé un slow sur « Hotel Formule 1 » ? 


Respectueusement.


4 juin 2022 / Le Point



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