"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

lundi 26 juillet 2010

Jean Paul Hébert nous a quitté.



C’était les mid-seventies. Nous étions « jeunes et larges d’épaules ». Tous les possibles s’offraient, croyait-on, à nous. Le ciel était notre seule limite. C’est à ce moment là que j’ai eu la chance pendant mes études, peut être comme certains d’entre vous de rencontrer un professeur qui a marqué ma vie à tout jamais.
Cela s’est passé dans un lycée un peu particulier. J’y ai fait la rentrée de 1975. Je crois n’avoir aucun souvenir des surveillants, pas plus que du reste de l’administration, tant ils étaient absents voire invisibles. Je venais de me faire virer de Val de Seine, un lycée caserne. Mon prof d’anglais au conseil de classe avait dit à la directrice « c’est lui ou c’est moi ». Ce fut moi. La directrice n’a pas du hésiter plus que le temps d’une ou deux remontées gastriques. Voilà comment je me suis retrouvé aux Bruyères, le lycée à l’époque, qui était ce qui se faisait de plus proche de Summerhill, pour ceux à qui cela dit encore quelque chose. Un lycée presque autogestionnaire, enfin au moins autogéré sur le plan éducatif par les profs. Cela tombait bien. Autogestionnaire, ils l’étaient tous. Les autres étaient barges. Je me souviens de mon professeur d’allemand qui me voyant fumer la pipe au dernier rang de son cours, plutôt que de me virer, m’avait demandé ce que je fumerai à 60 ans avant de poursuivre ses déclinaisons!
C’est dans ce lycée que mon chemin a croisé celui de Jean Paul Hébert. Il est devenu mon Professeur de sciences économiques pour trois ans. Sciences éco? L’économie, « cette science qui depuis le temps des esclaves, justifie la richesse des maîtres » selon l’expression d’un philosophe, dont, à cette heure le nom m’échappe. Il n’avait pas croisé Jean Paul Hébert. Son jugement en eut été, radicalement, changé.
J’attendais ses cours avec impatience et j’y assistais avec passion. Une même passion qui animait ce jeune professeur d’à peine 30 ans dans le plaisir de nous transmettre son savoir, de développer notre sens critique et d’éveiller chez certains une conscience politique. Avec lui et grâce à lui, heure après heure de cours, le monde qui nous entourait devenait de plus en plus compréhensible. Si ce blog existe, Jean Paul Hébert y est pour quelque chose.
Autogestion ne voulait pas pour autant dire absence de respect, même si les relations avec nos professeurs se teintaient de sympathie voire d’amitié (il y eut même des histoires d’amours). Nous étions là pour apprendre et eux pour nous élever, dans le sens « élévation de l’être ». Nul besoin pour eux de faire péter les galons, leurs compétences suffisaient.
Plus largement que le professeur, c’est l’homme qui m’a marqué. Jean Paul était aussi un marin, un guitariste, un conteur, un fin analyste politique. Jean Paul était un puits de sciences. Je me souviens de son humanité. J’étais, bien malgré moi et ayant pourtant voté pour Alice Cooper (ça vient de là), délégué de classe et je me souviens que lors des conseils, il tempérait de façon sûre, et si j’osais, d’une force tranquille, les aigreurs et excès de certains de ses collègues vis-à-vis des élèves fumistes ou un peu cons.
A quelque uns, nous nous sommes sans doute remémorés en apprenant la nouvelle de sa disparition, les fêtes du PSU à la Courneuve, où il nous emmenait, ou au « yaourt » du Havre où Henri Tachan et François Béranger étaient les vedettes d’un soir, ou encore les réunions au siège régional du PSU, avenue Pasteur. C’est un monde qui me parait être « le lointain proche ». Lointain dans notre époque, mais si proche dans ma mémoire. Mais mes Chers Compatriotes, rassurez vous, en ce temps là déjà, lorsqu’on m’appelait « camarade », cela me faisait rigoler.
Il est exact que le temps est passé par là, qu’au fil des années, nos idées ont divergé, mais c’est toujours avec gourmandise que j’écoutais Jean Paul Hébert sur RCF où il dissertait avec le même humour que par le passé même si les sujets étaient devenus plus graves.
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, je lui avais demandé pourquoi il avait quitté son poste au lycée des Bruyères. Je me souviens de son sourire narquois, celui qui chez lui précédait toujours un bon mot où une réponse teintée d’ironie et de dérision. Mais cette fois, ce sourire trahissait la déception. « Cela a tellement changé » m’avait-il répondu.
« On fumait des Gauloises bleues ». Je crois que c’est une chanson d’Yves Simon. Elles ont donc fini par avoir raison de vous, Jean Paul. A l’heure où l’on vous porte en terre, je veux garder présent à l’esprit le souvenir de la verve du militant PSU, ancien séminariste et de ses cours « d’éco » donnés au printemps sur la pelouse du parc des Bruyères, pendant lesquels vous nous éleviez.
Cher Jean Paul, mon respect et mon amitié vous accompagnent. Merci de m’avoir tant aidé à me construire à un age où l’on peut si facilement choisir le mauvais chemin.

Qu'il me soit permis de présenter ici mes condoléances à tous ses proches.
C.D

Lien de la vidéo de la conférence donnée en octobre 2009 à Montréal sur le thème du désarmement par J.P. Hébert: http://tv.uqam.ca/?v=52596


Article paru dans PN sur Jean Paul Hébert. Cliquer sur l'image

7 commentaires:

  1. J'aime le ton sur lequel vous avez écrit ce billet hommage.

    En m'engageant dans la politique, j'ai eu la chance de côtoyer Jean-Paul toute l'année. Il était partout, sur tous les sujets et toutes les luttes, à se battre à nos côtés mais indépendamment. Lorsque j'ai appris sa mort, jeudi dernier, je fus vraiment attristé, moi qui part en Palestine dimanche et qui avait discuté de ce voyage avec lui longuement le mois dernier. Parce que Jean-Paul était aussi un militant à l'international, qui se battait pour la justice au Proche-Orient. À son initiative et celle de l'AFPS, il a donné à la vingtaine de personnes se désintéressant du premier match de l'Equipe de France en Coupe du Monde le mois dernier (chose sur laquelle il avait ironisé), la chance de faire la rencontre de Abou Alaa Mansour, élu du Fatah à Ramallah et membre du Comité Populaire de Résistance à Bil'in, compagnon de route de Yasser Arafat et Marwan Barghouti.
    Ca ne représente peut-être rien pour vous (à l'image de la faible participation à la conférence), mais cette initiative était un signe puissant de paix.
    Bref, bien qu'il ne semblait pas tout à fait partager mes opinions politiques (et encore moins les votre Constantin, pour être sincère), c'était indéniablement un homme d'expérience et de connaissance qui avait à coeur d'être dans la droite ligne de ses convictions.
    Pour tout cela, c'est un homme que je respecte énormément, car en plus d'une immense tolérance envers les petits jeunots communistes comme moi (et il faut s'engager en politique pour savoir comme peuvent être violentes les relations entre les personnes dont la couleur de la carte est différente).

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  2. Je crois que sur le plan politique ce qu'il faut retenir de Jean Paul, au delà des idées, c'est la manière dont il faisait de la politique. Il n'était pas un politicien et se tapait des calculs électoraux. Seule la promotion des idées pour lui comptait. Il avait de la profondeur, ce qui nous change de nos hommes politiques de la majorité bihorellaise ou de l'opposition de salon dont l'épaisseur ne dépasse guère celle de leurs affiches.
    Votre engagement et votre voyage en Palestine vous honorent Victor. Là bas, les petits maux bihorellais vous paraitront des soucis de riches. Vous allez y trouver la vraie misère et le vrai désespoir, celui d'un peuple prit en otage par des partis politiques au fort relent de terrorisme et qui se contrefoutent du bonheur des palestiniens.
    Pour faire bonne mesure lisez "A-t-on le droit de défendre Israël" de Yves Azéroual chez Hachette.
    Bon voyage, Victor, mais faites gaffe à vous, là bas rien n'est à fleurets mouchetés!
    A bientôt
    C.D

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  3. Qu'est-ce qui déterminait la manière dont il faisait de la politique, si ce n'était pas les idées... ?!

    Il n'y a pas que les maux bihorellais qui paraissent des soucis de riches après un tel voyage, il y a aussi les sujet traités par les français en général. Même pas que ce soit des soucis de riches en fait, mais des soucis de gens qui n'ont encore rien compris à l'humain, et se soucient ainsi uniquement de leur petit confort dont ils n'aiment pas que le train-train prenne une autre couleur (dans tous les sens du terme).
    En fait dans ce monde, que ce soit en France, ou que ce soit dans le conflit Israélo-palestinien, s'il y a bien une chose que j'ai comprise, c'est que les rivalités politiques ne sont en aucun cas religieuses ou ethniques, mais entre réactionnaires et progressistes.

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  4. Déjà revenu , Victor ! Moi qui vous pensais parti pour une longue mission humanitaire auprès de vos frères palestiniens, ce n’était donc finalement que du tourisme politique. Votre discours est très binaire comme celui de tout bon marxiste: les bons contre les méchants, cette fois ci incarnés par les progressistes et les réactionnaires. Mais j’ai bien peur que votre trousse à outils communistes soit un peu juste pour résoudre un conflit qui trouve ses origines il y a 5.000 ans.
    L’article sur Perpignan vous répugne. Vous vivez dans la bibliothèque rose, Victor et votre doctrine vous aveugle au point de vous rendre insensible à la réalité que vivent des milliers de français. Avant de précher le « vivre ensemble » (valeur chrétienne, d’ailleurs), demandez vous si ces populations veulent vivre avec vous Victor, si le beurre, l’argent du beurre et le cul de la fermière ne sont pas les seules choses qui les intéressent , avec pour but final de prendre la place du fermier.
    « Pensez par vous-même », « vivez avec votre temps », tout cela ressemble à des slogans issus de la révolution culturelle de la chine des années soixante. Le monde n’est pas né avec vous Victor et sans référence au passé, vous vous condamnez à perpétuellement réinventer l’eau chaude.
    « Qu'est-ce qui déterminait la manière dont il faisait de la politique, si ce n'était pas les idées... ?! ». Si vous n’avez pas vous-même de réponse à cette question, c’est que vous avez peut être compris les idées de Jean Paul Hébert mais que vous êtes passé à coté de l’homme.
    C.D

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  5. Du tourisme politique... Comme j'aurais aimé que Jean-Paul soit encore là.
    C'est bien là, la différence. Vous parlez d'un conflit qui remonte à 5000 ans (6000 en réalité), moi je vous dis (et la preuve existe déjà) que tous ces religieux et toutes ces communautés peuvent vivre ensemble.
    Ensuite, je ne crois pas que ce soit en lisant Le Figaro que vous vous rendez sensible à la réalité du quotidien des français. En ce qui me concerne, je rencontre énormément de gens "lambda" avec qui je parle (en distribuant des tracts, en faisant du porte à porte, et en vivant ma vie aussi), et il existe bien des gens capables de se focaliser sur leur sécurité, assez manipulables pour jouer le jeu de la droite, mais ce n'est en aucun cas leur priorité.
    Mais... pourquoi vous dis-je ça, à vous Ô grand Constantin, qui avez tout vu tout lu. Vous qui savez mieux que moi ce que ma "doctrine" m'impose, comme je l'interprète et où elle me mène.
    Vous qui savez mieux que moi ce qu'est la réalité, et ce que ressentent les français.
    Vous qui savez mieux que moi ce que veulent "ces populations".
    Vous qui savez mieux que moi ce que j'ai compris ou non de Jean-Paul.
    Que ne savez-vous pas ? Où est votre part de doute dans la vie ? Vous semblez convaincu sur tout. Elles sont belles vos valeurs chrétiennes.

    Je ne sais comment conclure mon message, j'en resterai donc là : Amusez-vous bien dans votre monde, mais s'il vous plaît restez y. Il y des gens qui ont bien trop à gagner à ce que tout le monde le voit comme vous, et ces personnes là ne servent pas vos intérêts.

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  6. Au fait, vous faites quoi vous pour défendre vos convictions ?

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  7. Je devrais sans doute lire « L’Huma » au lieu du Figaro afin de me « rendre sensible à la réalité du quotidien des Français ». L’Huma, ce journal dont la clairvoyance et l’honnêteté intellectuelle sont plébiscitées depuis des décennies.
    Ce qui est répugnant, Victor, ce n’est pas l’article du Figaro mais ce qui est décrit dans cet article. Que des Français soient obligés de quitter sous les insultes (sales céfrans) leur quartier par l’intimidation, la menace et la violence. La réalité vous ne la voyez pas, Victor, vous l’imaginez, vous la rêvez comme dans un beau livre d’images où tout le monde s’aime et se veut du bien. C’est fort louable de s’inquiéter du sort des Palestiniens mais allez faire un tour à Perpignan, ville où je me rends plusieurs fois par an, cela vous permettra de vous « « rendre sensible à la réalité du quotidien des Français ». Vous y constaterez que ce qui est déploré dans l’article du Figaro correspond à la vérité. Enfin demandez au jeune couple que j’ai récupéré rue de l’Argilière à Bihorel cet hivers (ils habitent votre rue ou celle d’avant, vous devez les connaitre) ce qu’ils pensent du « vivre ensemble » après coups de boule et coups de pieds dans le ventre distribués par des CPF.
    Mes valeurs chrétiennes sont plus proches de celles des moines soldats, de Saint Bernard (celui qui prêcha le 31 mars 1196 la deuxième croisade à Vézelay, pas le toutou sympa avec un tonneau de rhum sous le cou) que de celles des cathos sympas cuculs et naïfs. Je ne suis pas trop du genre « à tendre l’autre joue ».
    Mes convictions, comment je les défends, me demandez vous ? Je suis actif dans plusieurs associations, je participe au financement d’autres, mais voyez vous le meilleur moyen de défendre ses convictions, c’est encore de les mettre en application (demandez à M. Avisse). Défendre mes convictions c’est aussi fonder une famille, élever des enfants dans le respect de certaines valeurs et les leur transmettre, adopter un style de vie en adéquation. Tout le monde n’a pas vocation à devenir un héros du prolétariat, de la lutte internationale ou de la nation. Il y a aussi les humbles et les obscurs. Depuis l’invention de l’imprimerie des millions de tracts ont été distribués, le monde a-t-il pour autant radicalement changé ? Les vôtres viennent grossir la pile. En écrivant sur ce blog, je n’ai pas l’ambition de changer quoi que ce soit, si cela influe, c’est parfait.
    Je ne sais rien mieux que vous , Victor, mais dans la controverse ou « la dispute » comme l’on disait autrefois, chacun avance ses arguments et sa manière de voir, sinon on peut toujours s’échanger des recettes de cuisine.

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