"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

samedi 20 juin 2009

BACHOTAGE GAGNANT (le Monde)

Le Cheylard (Ardèche)


Ci dessous un article intitulé "Bachotage gagnant" paru dans le journal "le Monde" du 18 juin 2009



C'est l'heure des révisions. Les réponses fusent aussi vite que les questions. Adam Smith, Max Weber, la crise actuelle et les emplois "atypiques" en "forte croissance"... Les élèves de cette terminale ES ont apparemment bien assimilé leur programme de sciences économiques et sociales. A quelques jours du bac, ils semblent parfaitement détendus. "On a parfois l'impression que nos profs sont plus inquiets que nous", avance un élève, bravache. Eux sont plutôt sûrs d'eux. Ils vont l'avoir, le bac, ils doivent l'avoir.
Depuis cinq ans, pas un élève de leur lycée, au Cheylard, en Ardèche, n'a échoué au bac ES ; depuis trois ans, ils sont même plus de 70 % à l'obtenir avec mention ; mieux, en 2008, les élèves des quatre classes de terminale (S, ES, L et STI génie électrotechnique) ont réussi un 100 % au bac.
Ces excellents résultats ont valu à ce petit établissement (357 élèves) une certaine réputation : il s'est retrouvé en deuxième position du classement national publié en avril par L'Express, ex aequo avec le lycée de Thizy (Rhône), et derrière le lycée
Vauban de Pontoise (Val-d'Oise).
"Ce n'est qu'un classement, avec des données qui peuvent être discutées, mais on est beaucoup mieux dans notre peau en étant deuxième qu'en étant 1 500e", souligne
Nicolas Chastel, le proviseur du lycée. Parmi ces données, la mesure de la "capacité de l'établissement à faire progresser les élèves" est sans doute la plus discutable. Mais, assure Jean-Pascal Tshishiku, professeur de physique appliquée au Cheylard, "beaucoup d'élèves qui n'auraient pas réussi ailleurs marchent bien ici".
Et cela se sait. Des familles se démènent pour que leurs enfants aient de la place dans ce lycée. Ainsi Mylène. En classe d'économie, elle est installée au fond de la classe. Ni cancre ni timide, elle est ce qu'on appelle une bonne élève. Bons résultats et beaucoup de volonté : c'est elle-même qui a décidé de quitter son établissement d'"en bas" - la vallée du Rhône - pour venir ici, au Cheylard, loin de tout. "Je n'étais pas à l'aise dans mon ancien lycée, explique-t-elle sans gêne. On n'était pas encadrés, il y avait un gros laxisme de l'équipe enseignante." Florian, lui, était en échec scolaire, en Haute-Loire : "Je ne travaillais pas du tout, je n'avais aucun objectif." Tous deux connaissaient le lycée du Cheylard "de réputation". Ils ont tenu à y "monter".
Le Cheylard est à "plus de 500 virages" de la vallée du Rhône, disent ceux qui ont compté. Plus d'une heure de route tortueuse et voici un bourg industriel (environ 3 500 habitants) niché dans les montagnes du nord-ouest de l'Ardèche. Une petite société bien enracinée autour de la vie paysanne et de trois grosses entreprises à capitaux familiaux ; un monde resté à l'écart de la France mondialisée et métissée ; un microcosme qu'aucune vague d'immigration n'a jamais atteint. "Une autre planète", "une île" : ce sont les mots des professeurs du Cheylard pour décrire leurs conditions de travail.
Ils ne parlent pas tellement de leur splendide isolement ou du décor - les fenêtres de leurs salles de classe donnent sur des forêts de pins douglas et de châtaigniers - mais de ce qu'ils voient comme un particularisme bienvenu : ils consacrent 100 % de leur temps à l'enseignement. La commission de discipline du lycée ne se réunit jamais. Partout, dans le hall d'entrée, les sacs des élèves traînent par terre, apparemment en toute confiance. Les portiques de sécurité dont on parle à la télé, ça les fait donc "plutôt sourire". "Ça paraît tellement loin...", constate
Elodie Lavenent, 35 ans, professeure d'anglais.
"Nous avons des élèves entre guillemets "normaux"", ajoute
Marie-Hélène André-Veglio, une jeune professeure de mathématiques. "On n'a pas les soucis de la vallée du Rhône, avec l'agressivité, les violences, dit le maire, Jacques Chabal (UMP). On a beaucoup moins de problèmes de drogue, un peu de fumette, c'est tout." "Il y a beaucoup de fumette, rectifie un habitué du coin, et aussi des violences paysannes." Mais très rarement au lycée, situé en contrebas du centre-ville. "C'est le rêve ici, je crois que je ne partirai pas avant longtemps, lance David Méchin, 29 ans, agrégé d'histoire-géographie. On m'avait prévenu, Le Cheylard, personne ne veut y aller, et ensuite plus personne ne veut partir." Sur les douze professeurs qui ont essuyé les plâtres à l'ouverture du lycée, en 1998, huit sont encore là, onze ans plus tard.
Ce lycée faiseur de miracles, l'éducation nationale n'en voulait pas il y a une quinzaine d'années, quand élus locaux, chefs d'entreprise et parents d'élèves ont fait campagne pour obtenir un lycée près de chez eux. Une sorte d'union sacrée s'était constituée autour du maire. Question de prestige local pour l'élu. Question pratique pour les parents d'élèves, las de voir leurs enfants s'en aller le lundi à l'aube en autocar pour ne revenir que le vendredi soir. Question d'avenir pour les entreprises, soucieuses d'attirer des cadres et de trouver sur place des employés mieux instruits, mieux formés. Pour appuyer le dossier, elles ont promis de verser au futur établissement la totalité de la taxe d'apprentissage, soit 60 000 euros par an, ce qui en fait un lycée très bien équipé.
"On me disait, on va avoir un petit lycée avec des enseignants en préretraite", se souvient le maire. A l'ouverture, en 1998, il a rencontré des profs étonnamment jeunes. Et réceptifs, ajoute le deuxième proviseur du lycée,
Jacques Fiol, arrivé en 2002 : "Il y avait une énergie folle, deux bonnes idées par semaine." Les résultats des premières cohortes d'élèves n'avaient rien d'extraordinaire, loin de là. Diagnostic du proviseur Fiol : "Les élèves ne comprenaient pas ce qu'on attendait d'eux. Certains ne savaient pas apprendre. On leur a donné des outils."
Dans le projet d'établissement, cela s'écrit "la méthodologie". Des profs appellent ça "du coaching". En pratique, c'est une heure hebdomadaire pour enseigner aux élèves de seconde comment travailler le soir à la maison. Apprendre à apprendre. "On nous montre comment faire des abréviations, comment sélectionner les informations, faire des synthèses", explique Alizée. "On nous explique qu'il faut travailler dix à douze heures chaque semaine chez nous, ça choque !, ajoute Claire. Mais petit à petit, on se sent poussés."
Un devoir commun organisé à la fin du premier trimestre permet aux plus récalcitrants de constater leur retard. Et de réagir. "Une méthode basique, insiste M. Fiol. Une méthode qu'on pourrait appliquer partout. Enfin, partout où le prof peut faire son cours..."
Les parents d'élèves adorent "la méthodo". Même ceux dont les enfants peinent à suivre, assure
Patrick Viennet, le conseiller principal d'éducation : "Sur 150 élèves de seconde, on voit une quarantaine de familles d'enfants en difficulté scolaire. 95 % des parents convoqués viennent aux rendez-vous. Ils comprennent bien l'enjeu, ils enlèvent l'ordinateur de la chambre de leur enfant." Les autres ? Des futurs redoublants, en général. Ou des élèves dirigés vers d'autres filières. Pas plus qu'ailleurs dans l'académie de Grenoble, assure M. Viennet, qui réfute le reproche d'"élitisme".
Mylène et Florian, comme tous ceux arrivés en cours de cycle, ont eu "un peu de mal" avec la "méthodo" et l'ambiance générale de travail. "Ça fait bizarre", admet Mylène. "Je contestais l'autorité des profs, j'ai été vite recadré", sourit Florian. Aujourd'hui, il parle plutôt des rapports de "complicité" qu'il entretient avec les enseignants. "On prévient les parents, on prône l'autonomie des élèves, mais attention, on n'est pas laxistes", insiste
Christophe Moulet, professeur d'économie.
L'adaptation ne se fait pas toujours aussi facilement. "Il y a forcément un côté obscur, relève un élève élu au conseil de vie lycéenne. Les profs mettent la barre très haut. Nous, on saute pour essayer de l'atteindre et ça ne se passe pas toujours très bien." "L'an dernier, j'ai pris des antidépresseurs, avoue une jeune fille de terminale. Je venais d'un autre lycée et ma moyenne était brusquement descendue de 12 à 8." Cela va mieux depuis qu'elle a compris tout le parti qu'elle pouvait tirer de la "méthodo". Elle montre un classeur mauve garni de fiches roses, autant de résumés de ses cours. Elle en a un pour chaque matière, qu'elle met à jour "chaque soir". "Ça demande une certaine endurance", apprécie M. Moulet.
En quelques années, le discours de la méthodologie a incontestablement pris. Les résultats sont là pour le prouver. Mais aux yeux de
Gilles Charreyre, 58 ans, agrégé de mathématiques, "on dramatise" à l'excès la question de la réussite aux examens : "On veut du chiffre, regrette-t-il. On regarde les résultats et c'est tout. On ne regarde jamais si on a su développer la curiosité ou l'esprit critique de nos élèves, si on les a intéressés à la matière. Mais nos vraies valeurs, c'est de faire passer de l'éducation, pas de faire réussir un examen à n'importe quel prix." "Il ne faut pas exagérer, réplique Jacques Fiol, le père de la "méthodo", aujourd'hui retraité à Valence, dans la Drôme. Notre mission consiste à prendre les élèves comme ils sont et à les former le mieux possible pour la suite. C'est vrai qu'on fait du bachotage, mais est-ce une erreur ?"
Ses détracteurs disent "pression", il répond "exigence". Pendant ses cinq ans passés au Cheylard, ce "républicain de gauche" a cru revivre, dit-il pour s'en féliciter, "les années 1970".
Eric Collier

2 commentaires:

  1. J'avais déjà lu cet article.
    Que dire là-dessus.. Ces lycéens ont bien de la chance, ils doivent vivre dans un cadre idéal. J'aimerai moi aussi pouvoir dire "je sais que j'aurais mon bac, la seule chose dont je doute c'est la mention".
    Avez-vous des informations concernant la fermeture du site de "Bihorel avec vous" ?
    Bon dimanche, et bonne fête en famille.

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  2. Concernant « Bihorel avec vous », je suis moi-même dans l’expectative.
    Néanmoins j’écarterais la thèse du suicide collectif. Quinze jours après la raclée du PS aux européennes cela serait un peu du réchauffé. Une hypoglycémie générale huit jours après un 10 km ne me parait pas plus probable. De mémoire de coureur de fond cela ne c’est jamais vu.
    Restons optimiste, je pense que nous allons retrouver sous peu nos camarades en pleine forme.

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