par Philippe de Villiers - le JDD - 25/12/2024
En cette nuit de Noël de l’an 496, le baptistère de Reims a ouvert ses deux battants. Le roi Clovis, immergé dans la cuve baptismale, adresse son adjuration à l’officiant – Monseigneur Rémi :
– J’ai l’honneur d’implorer auprès de vous la grâce du baptême.
– Jette tes colliers, fier Sicambre ! ordonne l’évêque. Brûle ce que tu as adoré ! Adore ce que tu as brûlé !
Bientôt une colombe, qui tourne autour du ciborium, dépose la Sainte Ampoule dans la main de Rémi pour l’onction baptismale. La reine Clotilde pleure de joie. La foule exulte. C’est une immense clameur qui s’élève sous les voûtes. Le roi des Francs devient, en cet instant, le fils aîné de l’Église.
Alors – miracle de Noël –, devant le baptistère de la Conversion se déploie le Rêve tramé dans l’étoffe des songes, sous la forme d’un cortège, de l’hommage de la France immémoriale.
Chacun apporte son présent. On voit passer, sous le regard de l’Ange de Reims qui lui sourit, le premier évêque de Paris. Portant sa tête dans les mains, il vient offrir, en forme de cadeau, son martyre fondateur. Il s’appelle saint Denis. Il inaugure une France sacrificielle. Puis, se présente l’apôtre des Gaules. Il offre son manteau écarlate. C’est Martin de Tours. « Ce que vous aurez fait au plus petit d’entre nous, c’est à moi que vous l’aurez fait. » La France sera donc un Acte de Miséricorde.
Un peu plus tard, entre une jeune pastourelle, sa houlette à la main, elle offre ses moutons. Elle vient de Nanterre. C’est la patronne de Lutèce, sainte Geneviève. Puis se présente une reine, Mathilde, elle arrive de Bayeux. Elle offre la tapisserie immense qu’elle a brodée, qui déroule l’épopée d’Hastings. Alors retentit l’écho du cor de Roland de Roncevaux. Il offre son olifant de détresse, sa chanson de geste. La France sera donc un acte Littéraire.
Ensuite, c’est le roi Arthur. Il dépose le Graal où coule le précieux Sang recueilli par Joseph d’Arimathie. Alors entre, pieds nus, le roi Saint-Louis. Il rend au Seigneur la Couronne d’épines. Il troque sa couronne de puissance contre une couronne de souffrance. Puis vient Jeanne la Lorraine. Elle arrive de Domrémy. Elle offre son anneau et son étendard. Elle supplie que le Ciel la mette « en état de grâce ». Alors arrive le chevalier Bayard. Il offre son épée qui a adoubé, à Marignan, le roi François Ier. On le répute « sans peur et sans reproche ». La France sera donc un acte de bravoure.
Puis s’approche un monarque, suivi de son jardinier. Le monarque, c’est le Roi Soleil. Le jardinier, c’est Le Nôtre. Il dépose les rouleaux des plans du Jardin de Versailles. Un peu plus tard, s’avance un héros du théâtre populaire. Il dépose, devant le baptistère, une plume blanche : « C’est mon panache. » La foule murmure : « C’est Cyrano ! » La France sera un acte de panache.
Il est suivi d’un poète, brisé par la mort de sa fille qui tombe à genoux. Il dépose son chagrin : « Je viens à vous Seigneur/Père auquel il faut croire. Je vous porte, apaisé, /les Morceaux de ce cœur/Tout près de votre cœur que vous avez brisé. » Alors, s’approche une jeune fille, chétive et pauvre, de Lourdes. Elle offre un flacon de l’eau miraculeuse du Gave. Elle a des yeux d’extase et s’agenouille devant une statue de l’Immaculée Conception. Puis s’approche un aviateur. Il est accompagné d’un renard apprivoisé. C’est un poète : Saint-Exupéry. Il supplie l’Ange au sourire éternel : « Faites pleuvoir sur le monde quelque chose qui ressemble à un chant grégorien. »
Alors s’avance une artiste, écorchée vive. Elle implore « Notre-Dame du Grand Secours ». Puis elle supplie: « Mon Dieu/ Mon Dieu /Laissez-le moi / Mon amoureux ! » Cette nuit de Noël, cette nuit du baptistère inaugural, qui a vu défiler deux mille ans de ferveurs et d’agenouillements, n’a pas seulement déployé l’imaginaire d’un peuple. Elle a fondé le mystère d’une nation choisie, la France, qui fit dire à Péguy : « C’est embêtant, dit Dieu/Quand il n’y aura plus de ces Français/Il y a des choses que je fais/Il n’y aura plus personne pour les comprendre. »
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