"Lui notre Colonel savait peut être pourquoi ces deux gens-là tiraient, les Allemands aussi peut-être qu'ils savaient , mais moi, vraiment je ne savais pas. Aussi loin que je cherchais dans ma mémoire, je ne leur avais rien fait aux Allemands. J'avais toujours été bien aimable et bien poli avec eux. Je les connaissais un peu les Allemands, j'avais même été à l'école chez eux, étant petit, à Hanovre. J'avais parlé leur langue. C'était alors une masse de petits crétins gueulards avec des yeux pâles et furtifs comme ceux des loups; on allait toucher ensemble les filles après l'école dans les bois d'alentour, et on tirait aussi à l'arbalète et au pistolet qu'on achetait même pas quatre marks. On buvait de la bière sucrée. Mais de là à nous tirer maintenant dans le coffret, sans même venir nous parler d'abord et en plein milieu de la route, il y avait de la marge et même un abîme. Trop de différence. On est puceau de l'horreur comme on l'est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la Place Clichy ? Qui aurait pu prévoir avant d'entrer vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ?
La guerre en somme c'était tout ce qu'on ne comprenait pas. Et ça ne pouvait pas continuer. Je refusais la guerre et tout ce qu'il y avait dedans...Je ne la déplorais pas moi...Je ne me résignais pas moi...Je ne pleurnichais pas dessus moi...Je la refusais tout net, avec tous les hommes qu'elle contenait, je ne voulais rien avoir à faire avec eux, avec elle. Seraient-ils neuf cent quatre-vingt-quinze millions et moi tout seul, c'était eux qui avaient tort et c'est moi qui avait raison, parce que je suis le seul à savoir ce que je voulais: je ne voulais plus mourir. "
Louis Ferdinand Céline. Voyage au bout de la Nuit.
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