FIGAROVOX/ HUMEUR (31 juillet 2014) - Louis de Funès inspire à Christian Combaz (1) la nostalgie d'une France dont il aurait aimé qu'elle souffle ses cent bougies avec l'esprit de famille sur lequel il a bâti sa carrière.
A présent que les gloires du cinéma français rêvent d'une villa à Beverley Hills, d'un palais à Moscou, ou de tourner dans XMen IV , il est bon de se souvenir que Louis de Funès, humble acteur formé sur les planches du boulevard, direct héritier de la France de Fréhel et d'Ouvrard, pianiste de bar, intermittent avant l'heure mais sans indemnité, qui a couru le cachet jusqu'à quarante ans, a fini dans la peau d'un châtelain avec tout le poids d'une gloire établie, décorée, assise, indiscutable. Le tout dans un pays dont les finances publiques étaient excédentaires à 2 % du PIB. A sa mort en 1983 elles étaient négatives de 3% et s'il avait dû fêter ses cent ans aujourd'hui ce serait à 4,1% sauf erreur de ma part.
Quel est le rapport entre la dette publique et sa carrière? La nation qui s'est reconnue en lui était une famille prospère, fortement hiérarchisée avec ses patrons, ses militaires, ses tenues de gala, son autorité ancrée dans la tradition, son rayonnement constant et naturellement tous les ridicules qui s'y attachent. Les vices de la famille avaient beau être prévisibles, irritants, insupportables, on les pardonnait comme on pardonne à son grand-père de ramener tout à lui dans la conversation. On leur pardonnait justement parce qu'ils étaient de la famille. Louis de Funès incarnait les personnages les plus vitupérants , mais aussi ceux qui, par leur énergie, animaient et gouvernaient le pays. Après sa mort on n'a plus rien pardonné aux patrons et aux militaires parce que la famille nationale s'est peu à peu dissoute au creux des années Jack Lang. On a commencé à hausser les épaules dès qu'une autorité s'exprimait en public , on a vu apparaître au cinéma des sexagénaires à cheveux dans le cou, des Noiret, des Reggiani, qui ne faisaient plus carrière dans la drôlerie mais dans la dérision-avant l'arrivée des équarrisseurs comme Bertrand Blier ou Patrice Leconte. L'humour de Louis de Funès, très latin (cf. Toto en Italie) était plutôt basé sur l'impatience irascible de l'homme de pouvoir qui fait l'important . Il relevait de l'âge classique. Mais la France socialiste était tellement mal à l'aise avec l'autorité en général (nous ne le mesurons que trop aujourd'hui) que Louis de Funès, au sommet de sa gloire posthume, a dû traverser le désert une deuxième fois pendant les années Mitterrand. Ce fut l'époque où, pendant les soirées habillées de la Comédie française, les acteurs invectivaient les gens endimanchés dans le public en les traitant de sales bourges. Ce fut aussi le temps des vestes en «jean» à l'Opéra, des carrières-éclair, de la provocation sans talent, sans effort, sans mémoire . Louis de Funès a bien fait de tirer sa révérence à cette époque-là.
(1) Christian Combaz est écrivain et essayiste. Son dernier livre, «Gens de Campagnol», est paru en 2012 chez Flammarion.
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