Jamais un président n’a été élu par une si faible proportion de votants.
Tout à leurs commentaires en direct des virées automobiles de François Hollande et Nicolas Sarkozy ou à leurs retransmissions des états d’âme de Yannick Noah et Christian Estrosi, l’ensemble des chaines de télévision, pourtant surmobilisées pendant 8 heures d’affilée dimanche soir et lundi matin, ont perdu une bonne occasion de parler.
Certes, à chaud ou presque, nombre de commentateurs ont reconnu que
le résultat final était plus serré que ne le prévoyaient l’ensemble des
sondages. Certains experts se sont même hasardés à supputer que la
campagne d’entre-deux-tours du sortant n’avait pas été si nulle que ça
(perso, je le pense aussi, mais je pense surtout que, ces deux dernières
semaines, la campagne de Hollande a été encore meilleure, notamment en direction de l’électorat mariniste
; mais ce n’est pas le sujet du jour, on en reparlera un de ces
quatre). Il s’est même trouvé quelques commentateurs taquins pour faire
remarquer que d’après les sondages post-vote, Hollande était assez
largement battu chez les jeunes et les salariés du privé. Bel effort.
Mais un chiffre, et non des moindres, a semble-t-il échappé à nos
expertologues, comme les a baptisés mon ami Basile de Koch, et il aura
fallu attendre hier midi pour le voir sortir des ordinateurs, qui eux
aussi, avaient dû faire la grasse mat’: celui de l’accroissement
significatif du vote blanc et nul lors de ce second tour. A ce stade du
récit, quelques précisions arithmétiques, techniques et pour tout dire
rébarbatives s’imposent. Quand les statistiques électorales parlent de «
votants », il s’agit uniquement du nombre d’électeurs inscrits qui se
sont déplacés (ou ont fait une procuration) pour voter. Ce chiffre
comprend donc à la fois les suffrages de ceux qui ont choisi un des deux
candidats en présence (et dont le total des voix est appelé « suffrages
exprimés ») et ceux qui ont fait tamponner leur carte d’électeur mais
n’ont pas voulu choisir entre les candidats en votant donc blanc ou nul.
L’ensemble « suffrages exprimés » additionnés aux votes blanc et nul
est conventionnellement appelé « votants ». Si on ajoute les
abstentionnistes au nombre de « votants », on tombe pile poil sur le
nombre d’électeurs inscrits. Pigé ? Si oui, bravo, sinon, eh bien,
relisez SVP.
Quid du chiffre de ces fameux votes blanc et nul ? Ma foi, il a
triplé depuis le 22 avril dernier, passant de 1,5% à 4,6% des électeurs
inscrits. Il est aussi en progression par rapport au chiffre de 2007, où
le vote blanc et nul pesait déjà 3,5 % (des inscrits toujours).
Cependant il y a cinq ans, le différentiel était bien plus élevé entre
les deux candidats. Pour rappel, cela donnait: Sarkozy, 53,06 % des
suffrages exprimés soit 18 983 138 voix ; Royal, 46,94 % et 16 790 440
voix ; Votants
37 342 004(83,97%) ; Blancs et nuls
1 568 426(3,53%) ;
Exprimés
35 773 578(80,44%).
En résumé, en 2007, Nicolas Sarkozy avait obtenu 18 983 138 voix sur
37 342 004, soit 50,84% des votants. Ce qui était en ligne avec ses
prédécesseurs. En effet, si tous les présidents de la Vème issus du
suffrage universel ont été, à cause de l’abstention, élus par une
minorité d’électeurs inscrits (hormis l’épisode cocasse de Chirac en
2002), ils ont tous été élus, depuis le Général en 1965, (sauf Chirac
–encore lui !- en 1995) par une majorité de votants, c’est-à-dire,
répétons-le, par ceux des Français qui se sont déplacés, soit pour
choisir un des deux finalistes, soit pour voter blanc ou nul.
Eh bien cette quasi-règle d’or est caduque : car si François Hollande
a obtenu 51,6 pour cent des voix, il n’a obtenu le suffrage que de
48,6% des votants, « améliorant » ainsi le record de Jacques Chirac en
1995 qui, lui, avait tout de même raflé 49,5% des votants. Rappelons que
deux ans plus tard, la majorité parlementaire dudit Chirac fut dégagée
par la gauche, laquelle ne put cependant obtenir la majorité à
l’Assemblée que grâce aux triangulaires provoquées par le maintien
généralisé du Front National. Bis repetita, etc etc…
Cela dit, si ces chiffres du vote blanc de 2012 sont parlants, ils ne
nous disent pas tout. Et en particulier, ils ne nous disent pas d’où
vient précisément cet afflux de voteurs blanc. Il serait trop hâtif de
l’expliquer uniquement par l’attitude de Marine Le Pen, qui sans donner
de consigne à ses électeurs, a indiqué qu’elle voterait blanc. Car on
trouve aussi dans ces suffrages non exprimés un bon paquet d’électeurs
de Bayrou, quelques bataillons post-trotskystes et souverainistes, sans
oublier un nombre indéterminé mais probablement non négligeable de
mélenchonistes encore plus suspicieux que leur ex-candidat envers «
Hollandréou » et autres sociaux-traîtres.
Cela dit Marine Le Pen n’est indubitablement pas étrangère au
phénomène : ainsi à Hénin Beaumont, où elle est inscrite, le nombre de
votes blancs et nuls a été multiplié par 6 entre les deux tours. Ce
n’est pas une preuve scientifique, mais quand même…
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