CHRONIQUE par Natacha Polony/Figaro 05/05/2017 -
Pendant ces cinq ans, tous les maux qui rongeaient la France
ont progressé. Mais le monopole de l'alternative a été sciemment laissé
au Front national.
Monsieur le Président de la République, vous vous apprêtez à
quitter l'Élysée dans une indifférence polie. Car les Français sont polis. Ils
pourraient même aller jusqu'à vous accorder leur compassion pour cette
pitoyable sortie. Mais ils sont trop occupés à montrer à chaque patrouille de
la brigade des mœurs idéologiques leur visa de conformité, ce vote Macron qu'il
faut porter en bandoulière dans la démocratie transparente qui est désormais en
marche.
Vous
avez pris soin de réciter vous-même votre panégyrique, ce qui dénote une
certaine lucidité de votre part, conscient que personne d'autre ne s'y
risquerait. Mais vous devriez finalement vous en sortir sans trop de honte: les
livres d'histoire ne pouvant se contenter du récit de l'insignifiance, les épisodes
les plus emblématiques de votre quinquennat n'empliront que les archives des
gazettes people. Les petites vengeances de votre compagne, par tweet ou par
livre, le scooter, les croissants… cet épanchement permanent d'un petit moi,
cet écoulement de l'ego trahissant votre incapacité radicale à assumer le
pouvoir dans sa dimension sacrificielle. À aucun moment vous n'avez semblé
comprendre ce que signifie porter les destinées d'un peuple millénaire qui a
choisi l'universel comme particularisme. Ni face à la jeune Leonarda, galvanisée par sa médiatisation
soudaine au point d'instrumentaliser crânement la tradition d'asile politique
de la France, ni face à ces journalistes que vous avez cru manipuler pour
édifier votre statuette. Ni quand vous avez laissé un premier ministre
velléitaire torpiller le volontarisme politique d'Arnaud Montebourg, qui
tentait de vous faire tenir votre promesse de Florange, ni quand vous avez
abîmé la parole présidentielle, sur le fond et sur la forme, en trahissant
autant la grammaire que vos promesses de campagne.
Mais il y eut mieux. Pendant ces cinq ans, tous les maux qui rongeaient
la France ont progressé. Désindustrialisation, désertification des
territoires, effondrement de pans entiers de notre économie. À votre
décharge, il fallait être commentateur médiatique pour ne pas connaître
votre parcours idéologique et pour s'imaginer que vous alliez remettre
en cause la mécanique ravageuse qui nous impose de choisir entre
endettement et destruction de notre modèle social, entre dépendance aux
marchés et tiers-mondisation des modes de vie. Vous êtes de ceux qui,
avec vos ennemis de la finance, feignent d'ignorer que la globalisation
et le libre-échange ont, certes, atténué la pauvreté de millions
d'Indiens et de Chinois, mais en ruinant les classes moyennes et
populaires des pays occidentaux. Pendant qu'elles s'enrichissent, les
élites progressistes font la leçon aux pauvres en leur disant que
refuser la mondialisation, c'est refuser que des malheureux sortent de
la misère. Et votre réponse, comme il a été dit à Whirlpool,
est de leur expliquer qu'ils coûtent trop cher. Ils ne sont pas
compétitifs et vous, comme votre prédécesseur, aviez promis à Angela
Merkel et aux caciques de la BCE qu'ils le deviendraient à marche
forcée. Parce l'ENA ne vous a pas appris autre chose.
Pendant ces cinq ans, la déstructuration de la communauté nationale
s'est poursuivie dans votre silence assourdissant. Vous avez obstinément
refusé de nommer la cause de plus de 230 morts en France sous votre
quinquennat, laissant entendre que le combat contre l'islamisme pouvait
être assimilé à une mise en accusation de l'islam. Et vous n'avez
proposé qu'un débat politicien sur cette déchéance de nationalité qui
vous indignait tant naguère. Vous avez été élu en 2012 sur une promesse
fondamentale, celle d'apaiser la France. Un objectif ô combien
nécessaire alors que les fractures se creusent et que les haines
s'attisent. Mais qu'avez-vous fait d'autre que d'utiliser à votre profit
politicien la dénonciation d'une part de la population supposée raciste
ou réactionnaire? Qu'avez-vous fait sinon abandonner sciemment au FN le
monopole de l'alternative? Les frustrations, le ressentiment, la
colère, toutes les passions tristes habitent désormais une communauté
nationale qui ne croit plus en sa capacité à se rassembler autrement que
contre un ennemi désigné. Les Français, pourtant, aspirent à la
grandeur, à l'espérance, mais également à la reconquête de l'économie
par le politique, c'est-à-dire au retour de la démocratie comme
expression de la souveraineté du peuple.
Mais au sortir de cette quinzaine de l'antifascisme,
au sortir d'une campagne atterrante qui n'a fait émerger aucun enjeu,
ni la remise en cause du pouvoir des multinationales, ni la définition
d'un modèle alternatif et durable au consumérisme béat, ni la définition
d'une identité commune, qui rassemble les Français de toutes origines
et de toutes confessions, acceptez malgré tout, Monsieur le Président,
nos félicitations pour votre réélection.
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