Temps de parole, signature : la présidentielle verrouillée
FIGAROVOX/HUMEUR - Pour Laurent Herblay, la loi modifiant les règles de
la campagne présidentielle aggrave l'inégalité de traitement entre les
candidats et constitue un déni de démocratie.
Imaginons un instant Poutine ou Orban réduire le temps de parole de la
plupart des partis de l'opposition pendant les campagnes électorales, ou
mettre en place une règle qui pourrait réduire potentiellement le
nombre des candidats d'opposition un an avant une élection. Toutes les
belles âmes dénonceraient ces dictateurs en herbe. Mais ici, il s'agit
du texte que les députés ont voté cette semaine.
PS et LR, uni dans l'oligarchie autoritaire
Bien sûr, a priori, ce qui a été voté peut sembler
un détail, d'ailleurs traité comme tel par les médias qui en ont très
peu parlé, signe caractéristique d'un dysfonctionnement de notre
démocratie. Comme je l'avais déjà évoqué en décembre, malheureusement,
le projet de loi du gouvernement est passé cette semaine, avec à peine
quelques poignées de députés qui ont voté pour valider ce projet
révoltant. La révoltante règle dite de l'équité, introduite pour la
campagne de 2012, est étendue pour toute la période précédant la
campagne dite officielle. Selon cette règle, les médias peuvent
attribuer des temps de parole proportionnels aux sondages, ce qui
aboutit donc à favoriser les grands partis établis, quand la règle
d'égalité, voulu par le Général de Gaulle en 1965, assurait une égalité
de traitement démocratique.
Et ce n'est pas tout, après la publication d'une petite partie des
parrainages en 2012, ce projet de loi établit la publication de tous les
parrainages, ce qui pourrait également affaiblir les petits candidats
dans la mesure où le parrainage d'un élu pourrait avoir des
répercussions… D'ailleurs, il sera intéressant de voir combien de
candidats se présenteront l'an prochain, avec ce nouveau cadre
législatif. Enfin, les dépenses de campagne seront comptabilisées sur 6
mois au lieu d'un an, ce qui revient encore une fois à avantager les
grands partis qui pourront dépenser la même somme en deux fois moins de
temps. Difficile de ne pas voir avec cette loi la défense cynique par le
PS et les dits Républicains de leurs intérêts, qui mettent des bâtons
dans les roues de tous les «petits» candidats qui pourraient émerger.
Tout ceci est rendu encore plus choquant par le fait de changer les
règles de l'élection présidentielle à peine plus d'un an avant le
premier tour, d'autant plus que l'on voit trop bien les avantages que
peuvent en tirer les deux partis qui dominent notre vie politique depuis
trop longtemps. De facto, avec ce projet, ce qu'ils veulent, c'est
empêcher d'autres candidatures et réduire le temps de parole des autres
partis (FN à part, leur meilleur ennemi). Et malheureusement, les média
sont largement silencieux sur ce scandale démocratique. D'abord, les
règles ne devraient pas pouvoir être changées à ce stade, et on peut se
demander si ces règles de base de notre démocratie ne devraient pas être
constitutionnalisées pour être protégées. Ainsi, nos deux partis
dominants révèlent un inquiétant caractère peu démocratique.
Quel contraste avec le vrai démocrate qu'était le Général de Gaulle,
qui, dans les années 1960, aurait sans doute pu passer outre l'égalité
de temps de parole, mais qui respectait trop le peuple et la démocratie
pour ne pas se battre à égalité. Avec cette loi, nos dirigeants montrent
que le temps qui passe peut provoquer un retour en arrière. Un bien
mauvais coup pour notre démocratie.
Laurent Herblay / Le Figaro 29 mars 2016
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