Par André Bercoff
Publié le 07/12/2015 à 13h24
FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que le FN a effectué une poussée importante au premier tour des élections régionales, André Bercoff juge qu'on ne s'en tirera plus avec le vieux disque dur des années 30. Pour l'écrivain, il faudra plus que jamais innover pour desserrer l'étau.
Que s'est-il donc passé hier? Il nous faut reparler d'un temps que les
moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, le Front
national était variable d'ajustement. Petit électeur, mange ta soupe
parfumée à la droite ou à la gauche, sinon le grand méchant borgne
viendra te dévorer comme aux jours les plus sombres de notre Histoire.
François Mitterrand enseigna aux foules émerveillées l'art et la manière
d'utiliser Le Pen pour mieux régner: le faisant inviter à «l'Heure de
Vérité» et introduisant une dose de proportionnelle en 1986, afin que
les électeurs inquiets sentent le souffle de la bête immonde. Entre
temps, le stratège de Jarnac avait plumé la volaille communiste et
l'avait contrainte à se réfugier dans une cabine téléphonique. Il ne lui
restait plus qu'à agiter par intermittence le spectre du fascisme qui
vient, histoire de continuer à vivre tranquille.
De même, grâce au choc de Jean-Marie présent au premier tour, Jacques
Chirac fit un score quasiment soviétique en 2002: la démocratie en
danger se mobilisa pour stopper, à poitrine nue, les Panzer divisions du
Führer de Montretout prêtes à venir jusque dans nos bras, etc.. etc.. A
son tour, en 2007, Sarkozy, à l'école de Patrick Buisson, en usa à
l'égard du FN comme Mitterrand l'avait fait pour le PC. Identité,
sécurité, fermeté: l'Elysée valait bien cette messe.
Mais voilà-t-il pas qu'aujourd'hui le paysage se
bouleverse et mute. La réalité du chômage, de la précarité, de l'échec
du «vivre ensemble», des attentats et du communautarisme galopant: tout
se passe comme si la donne est en train de se modifier totalement et
qu'au bout de quarante ans d'alternance droite-gauche, les mots ont
perdu leur sens, et les sens leurs mots. Et surtout, que de plus en plus
nombreux sont les hommes et les femmes qui ne savent plus où ils
habitent et qui ils sont. Une bonne moitié de la population française,
reléguée dans les villes moyennes et périphériques, abandonnée sur ses
propres terres, s'est vue passer par pertes et profits et ne l'accepte
plus du tout. D'où une gauche en capilotade parce qu'elle s'est coupée
d'une bonne partie de son peuple, ayant remplacé les ouvriers par les
bobos, et la classe moyenne par les primo-arrivants. Quant à la droite
républicaine, rongée par la primaire et écartelée entre centristes et
souverainistes, modérés et radicaux, elle est comme un canard à qui on a
coupé le cou et qui continue de vaquer en tous sens. En témoignent
aujourd'hui la cuisine d'après premier tour, l'excommunication de Nadine
Morano, l'ineffable offensive anti-crèches de Noël de François Baroin
et d'un certain nombre de maires, les discours apaisants de NKM et de
Juppé, contrastant avec la rage froide et un peu trop répétitive de
Nicolas Sarkozy. Tout cela fait un Front national en tête dans six
régions sur treize, dans plus de 50% des communes de France, et des
évocations touchantes à un passé vichyste qui ne passe plus. Quels que
soient les résultats de dimanche prochain, l'étau se resserre, le nœud
coulant aussi. On ne s'en tirera plus avec le vieux disque dur des années 30. Pour desserrer l'étreinte, il faudra plus que jamais innover, imaginer, oser. Il est minuit, docteur Sarko.
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