LA CHRONIQUE D'ÉRIC ZEMMOUR (Figaro Mag du 30/10/2015)
- La République n'est pas ce qu'on croit. Et
elle fut souvent ce qu'on ne croit pas. Déconstruction utile par un
prof de droit iconoclaste. Mais qui s'avère un brin désuète.
Faut dire, il y avait de quoi être agacé. Énervé. Exaspéré. Ces
références incessantes à la République, ces incantations, ces
exhortations, ces excommunications ; ces «marches républicaines», cet
«esprit républicain», ces brevets de bon républicain ou ces anathèmes à
l'encontre de ceux qui sont rejetés dans l'enfer des «non-républicains»,
tout ce cirque républicain que l'on subit depuis des décennies et qui a
repris, avec une plus grande vigueur encore, dans la foulée des
attentats du début de l'année 2015 et de la manifestation du 11 janvier,
tout cela donnait envie à un esprit même modérément iconoclaste
- c'est-à-dire français - de mettre une claque à Marianne et de crier
vive le Roi! Frédéric Rouvillois a craqué. On le comprend et on
l'approuve. Il claque et craque en universitaire, professeur de droit
public, qu'il est. Au menu, une déconstruction soignée de la République,
ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas ; et justement l'impossibilité
de définir ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas.
Notre professeur sait de quoi il parle. Au commencement, la République,
c'est l'État. La Res publica, la chose commune. La République, comme on
l'entend de Bodin à Richelieu, avec un roi héréditaire à sa tête, parce
que plus efficace. Après la Révolution française, et surtout 1792, le
mot République prend un sens plus limité, et plus partisan, le contraire
de la monarchie que l'on vient d'abattre. Mais Napoléon
réconcilie les deux. L'Empire est une forme de République, comme
indiqué sur les pièces de monnaie de ce temps-là. «Le gouvernement de la
République est confié à un Empereur, qui prend le titre d'Empereur des
Français», proclame, sans nulle crainte de la contradiction, l'article 1
de la Constitution de l'an XII. Et les juristes du temps de louer
Bonaparte qui a réussi à «fondre dans la République la force de la
monarchie».
Un siècle et demi plus tard, de Gaulle, avec la Ve République,
instaurera une «Monarchie républicaine». Rien de nouveau sous le soleil,
note pertinemment Rouvillois. Mais dans les cent cinquante ans qui
séparent ces deux géants, la République deviendra le régime qui se méfie
des géants. Des hommes providentiels. Du pouvoir personnel. La
République, dans l'imaginaire de la gauche française, deviendra le
régime dirigé par un Parlement où le président de la République est un
ectoplasme et où la Loi est reine. La République va durablement
s'identifier à la IIIe du nom. Notre professeur narquois ne peut pas
résister à la tentation de démolir tous les mythes républicains: les
républicains se sont longtemps méfiés du suffrage universel, en
particulier des femmes dans la main de l'Église ; Jules Ferry édicte ses
lois pour l'école quand la grande majorité des enfants français sont
déjà scolarisés ; l'universalisme de la République n'interdit nullement
une minutieuse classification des étrangers ; la laïcité fut avant tout
une machine de guerre contre la religion catholique ; le jacobinisme
républicain ne souffrait guère les libertés locales.
Tout cela est bel et bon, le plus souvent exact, même si parfois
excessif et pas vraiment neuf. Notre universitaire, emporté par sa juste
colère, oublie la force de l'idéal républicain qui animait les classes
populaires du XIXe siècle. Son combat sarcastique et souvent pertinent
contre la «gueuse» apparaît surtout désuet. Comme s'il mettait une
«claque à sa grand-mère» selon la formule de Marx. Il prend un malin
plaisir à constater que, de la décentralisation au développement du
contrôle juridictionnel de la loi, la République d'aujourd'hui a abattu
toutes les vaches sacrées de la République d'hier.
Mais doit-on
s'en réjouir? Doit-on se réjouir de voir des juges français sans
légitimité démocratique et des juges étrangers dicter leur conduite aux
représentants du peuple français? Doit-on se réjouir que la souveraineté
nationale soit dépecée par le haut (institutions européennes) et par le
bas (décentralisation)? Doit-on se réjouir que cette République
nouvelle affaiblisse l'État et l'indépendance de la nation?
Tout occupé à déconstruire une République qui n'existe plus, Rouvillois
ne voit pas ou ne veut pas voir que ces républicains d'aujourd'hui ont
retourné comme un gant tous les anciens principes de la République qui
avaient, quoi qu'en pense Rouvillois, défendu la nation et sa
souveraineté. Cet enjeu-là, Rouvillois l'ignore. Les républicains
d'aujourd'hui, avec leur État de droit, leur multiculturalisme inclusif,
leur religion de l'Autre, leur soumission aux oligarchies européennes,
leur haine de la France maquillée en cosmopolitisme de pacotille, leur
refus des frontières, leur rejet de la «morale de nos pères» chère à
Jules Ferry, brûlent tout ce qu'ont adoré et adorent tout ce qu'ont
brûlé les grands républicains de jadis qu'ils prétendent vénérer. C'est
tout le paradoxe de la tyrannie républicaine d'aujourd'hui. Le mot même
de République a subi une ultime transformation dans le langage politique
contemporain: il ne signifie plus l'État, la chose publique, et ne
s'oppose plus à des monarchistes qui ont disparu du paysage politique ;
le mot République désormais sert à remplacer la France. On dit la
République pour ne pas dire la France. Pour arracher ses racines
nationales à la République française. Pour déraciner la nation et son
peuple. On dit les territoires perdus de la République, alors que ce
sont les territoires perdus de la France. On dit la République agit, la
République intègre, la République protège, alors qu'on devrait dire la
France agit, la France intègre, la France protège.
Il y a deux siècles, les farouches républicains ont forgé, par le fer et
par le sang, la version moderne de la nation ; les prétendus
républicains d'aujourd'hui se comportent en fils ingrats et renégats qui
bradent l'héritage, imposteurs et faussaires.
En les mettant tous dans le même sac, Rouvillois commet non seulement
une injustice historique, mais surtout il se fait malgré lui le complice
des prétendus républicains d'aujourd'hui qu'il abhorre et méprise et
combat.
Eric Zemmour
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