Érigées le matin même par un maraîcher breton à la mémoire, dit-il, des 600 agriculteurs qui se suicident chaque année en France, ces croix en polystyrène sont battues par les vents et certaines choient à terre. Le symbolisme n’en est que plus grand.
Par Gabrielle Cluzel (Boulevard Voltaire)
Étrange et touchant spectacle que celui de ces 600 croix blanches, ce dimanche, sur le parvis de Sainte-Anne-d’Auray.
Érigées le matin même par un maraîcher breton à la mémoire, dit-il, des 600 agriculteurs qui se suicident chaque année en France, ces croix en polystyrène sont battues par les vents et certaines choient à terre. Le symbolisme n’en est que plus grand.
Certains contestent les chiffres « empiriques » de ce fils d’agriculteur lui-même revenu à la terre – les statistiques officielles évoquent, pour le monde paysan stricto sensu, un suicide tous les deux jours, et non deux suicides par jour – mais tout le monde s’accorde sur un point : si l’on prend les chiffres par catégorie socioprofessionnelle, les agriculteurs détiennent, de loin, le triste record des suicides, avec un taux trois fois plus élevé que chez les cadres. Et la solitude, la dureté structurelle du métier ne peuvent être seules en cause : les courbes montrent des corrélations très claires entre le nombre de suicides et les crises économiques touchant telle ou telle filière.
Une messe a été célébrée dans la basilique par Mgr Centène, l’évêque de Vannes, et une stèle a ensuite été inaugurée près du sanctuaire à l’effigie d’Yvon Nicolazic, ce jeune paysan auquel est apparue sainte Anne au XVIIe siècle. À cette cérémonie, 1.500 personnes, dont de nombreux agriculteurs, très émus par cette célébration. Certains confient au micro du Télégramme avoir tous connu « quelqu’un dans leur métier » qui s’est donné la mort, et y avoir eux-mêmes parfois pensé… D’autres confient leur sentiment d’être « très seuls », de « manifester, de réagir, de crier [leur] détresse » en pure perte : « l’État et Bruxelles ne les entendent absolument pas », ils ont l’impression « qu’il n’y a rien à faire ». Ce parterre de croix ne gronde pas, ne menace pas, ne bloque pas la circulation. C’est la manif d’après : non plus la manif bruyante de la colère, mais celle, silencieuse, du désespoir.
Que l’Église condamne, bien sûr, le suicide n’y change rien. Si elle ne les entend pas avec compassion, qui le fera ? Mgr Centène supplie que « l’homme soit placé au cœur du système économique, et non la finance ».
Les paysans bretons n’ont pas plus gardé la foi que le reste de la France. Mais ils sont si près de la terre qu’ils ne peuvent pas être très loin de leurs racines. Et c’est à Sainte-Anne-d’Auray, comme les marins, qu’ils se raccrochent, pris dans l’ouragan de la mondialisation, ballotés par tous les vents fiscaux, noyés dans la charge de travail. « Du fond de la terre, miserere. »
Sur le podium du suicide, après les agriculteurs, viennent les ouvriers, les artisans, les petits chefs d’entreprise. La « France périphérique », comme on a désormais coutume de l’appeler. La France basique, la France rustique, la France pudique qui est en train de devenir la France pathétique.
Dans une entreprise, lorsque les suicides se multiplient, on diligente une enquête de « management » : le patron a-t-il trop harcelé, demandé, humilié ? N’a-t-il pas assez écouté, rassuré, fait preuve d’humanité ? Mais l’État n’a de comptes à rendre à personne. Cette France périphérique, par trop hermétique au mondialisme, c’est la France antique vouée à disparaître. Comme à un vieux chien, on lui gratte prudemment le haut du crâne quand elle montre les crocs. Mais on la laisse mourir seule dans son coin.
Gabrielle Cluzel
Érigées le matin même par un maraîcher breton à la mémoire, dit-il, des 600 agriculteurs qui se suicident chaque année en France, ces croix en polystyrène sont battues par les vents et certaines choient à terre. Le symbolisme n’en est que plus grand.
Certains contestent les chiffres « empiriques » de ce fils d’agriculteur lui-même revenu à la terre – les statistiques officielles évoquent, pour le monde paysan stricto sensu, un suicide tous les deux jours, et non deux suicides par jour – mais tout le monde s’accorde sur un point : si l’on prend les chiffres par catégorie socioprofessionnelle, les agriculteurs détiennent, de loin, le triste record des suicides, avec un taux trois fois plus élevé que chez les cadres. Et la solitude, la dureté structurelle du métier ne peuvent être seules en cause : les courbes montrent des corrélations très claires entre le nombre de suicides et les crises économiques touchant telle ou telle filière.
Une messe a été célébrée dans la basilique par Mgr Centène, l’évêque de Vannes, et une stèle a ensuite été inaugurée près du sanctuaire à l’effigie d’Yvon Nicolazic, ce jeune paysan auquel est apparue sainte Anne au XVIIe siècle. À cette cérémonie, 1.500 personnes, dont de nombreux agriculteurs, très émus par cette célébration. Certains confient au micro du Télégramme avoir tous connu « quelqu’un dans leur métier » qui s’est donné la mort, et y avoir eux-mêmes parfois pensé… D’autres confient leur sentiment d’être « très seuls », de « manifester, de réagir, de crier [leur] détresse » en pure perte : « l’État et Bruxelles ne les entendent absolument pas », ils ont l’impression « qu’il n’y a rien à faire ». Ce parterre de croix ne gronde pas, ne menace pas, ne bloque pas la circulation. C’est la manif d’après : non plus la manif bruyante de la colère, mais celle, silencieuse, du désespoir.
Que l’Église condamne, bien sûr, le suicide n’y change rien. Si elle ne les entend pas avec compassion, qui le fera ? Mgr Centène supplie que « l’homme soit placé au cœur du système économique, et non la finance ».
Les paysans bretons n’ont pas plus gardé la foi que le reste de la France. Mais ils sont si près de la terre qu’ils ne peuvent pas être très loin de leurs racines. Et c’est à Sainte-Anne-d’Auray, comme les marins, qu’ils se raccrochent, pris dans l’ouragan de la mondialisation, ballotés par tous les vents fiscaux, noyés dans la charge de travail. « Du fond de la terre, miserere. »
Sur le podium du suicide, après les agriculteurs, viennent les ouvriers, les artisans, les petits chefs d’entreprise. La « France périphérique », comme on a désormais coutume de l’appeler. La France basique, la France rustique, la France pudique qui est en train de devenir la France pathétique.
Dans une entreprise, lorsque les suicides se multiplient, on diligente une enquête de « management » : le patron a-t-il trop harcelé, demandé, humilié ? N’a-t-il pas assez écouté, rassuré, fait preuve d’humanité ? Mais l’État n’a de comptes à rendre à personne. Cette France périphérique, par trop hermétique au mondialisme, c’est la France antique vouée à disparaître. Comme à un vieux chien, on lui gratte prudemment le haut du crâne quand elle montre les crocs. Mais on la laisse mourir seule dans son coin.
Gabrielle Cluzel
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