"Moi Président de la République, il y aura un code de déontologie pour les ministres".
(le Pingouin, 2012)
Les couillons et les malins par Brice Couturier
France Culture (mercredi 3 avril 2013)
Ecoutez donc : « Mon idée est que les conditions du respect des règles de la vie commune ont été profondément altérées par une situation où les uns, au sommet, ont les moyens de contourner les règles, tandis les autres continuent d’être obligés de s’y soumettre ou n’ont pas les mêmes moyens de s’y soustraire. » Fin de citation.
Cette intuition a reçu, hier, une vérification presque caricaturale. En effet, l’homme qui incarnait, depuis Bercy, les hausses d’impôts, les taxes nouvelles, les malus, les pénalités que, dans son imagination débordante, une administration impitoyable ne cesse de concevoir pour tenter de combler ses propres déficits, ce même homme avait trouvé le moyen quant à lui, de soustraire au fisc une partie importante de ses revenus, en les dissimulant à l’étranger…
S’il est dangereusement problématique de laisser entendre que la loi ne s’applique qu’à ceux qui n’ont pas les moyens de lui échapper, il est plus dévastateur encore pour l’ordre social de constater que ceux qui la conçoivent s’évertuent à ne pas se la voir appliquer. Il n’y a pas de moyen plus redoutable de la délégitimer. L’idéal de la république, c’est que la loi est la même pour tous. Si ceux-là même qui ont pour mission de la faire respecter s’y soustraient dès qu’ils en ont l’occasion, on peut y voir la preuve qu’elle n’est pas légitime.
Comme le dit encore Marcel Gauchet : « un dilemme travaille confusément l’esprit de tout un chacun : faites-vous partie des couillons qui continuent bêtement de respecter les règles, ou êtes-vous du côté des malins, qui ont compris le nouveau système, et qui savent que les règles ne sont là que pour être tournées ? »
Ce « nouveau système », Marcel Gauchet y voit la conséquence de deux phénomènes historiques : d’abord, la globalisation, qui a été pensée pour « réformer les sociétés trop rigides et trop compliquées » qu’étaient les vieux Etats-nations. En les mettant en concurrence entre eux, « en créant des mécanismes de contournement » des lois nationales, en les ouvrant de force sur l’extérieur, on a cherché à les mettre à la page, à les décoincer. Ce courant de libéralisation a rencontré le courant libertaire issu de la contre-culture des années 60, qui prônait la transgression des règles communes : « il est interdit d’interdire ».
Du coup, les vieilles normes, conçues dans le cadre territorial des Etats, paraissent ne devoir s’appliquer qu’à ceux qui n’ont pas les moyens de leur échapper. Et les violer apparaît comme un signe de supériorité intellectuelle. Pensez à la vogue de l’adjectif « malin »…
De plus en plus, c’est notre capacité de mobilité qui détermine notre envergure sociale : tout en bas, les centaines de millions de personnes qui ne peuvent s’éloigner du point d’eau grâce auxquelles elles survivent. Tout en haut, la minorité des très riches et des très informés, qui bénéficient des ressources innombrables qu’offre l’hyper-espace d’une planète mondialisée pour échapper au sort commun. Entre les deux, les citoyens assignés à résidence des Etats-nations, qui paient pour les folies des banques, en rongeant leur frein…. Ils voient certains, parmi les puissants, faire fi de la « common decency » prônée par Orwell, qui servit longtemps de morale minimale dans nos démocraties bourgeoises. Il ne faudrait pas que l’impression, qui prévaut en Europe, que les dirigeants élus sont incapables de nous guider hors de la crise, se double du pressentiment d’un naufrage inévitable. Or, c’est ce qu’on est tenté de déduire du comportement de sauve-qui-peut individuel de certains."
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