le Figaro, vendredi 4 février 2022
tribune collective . Après la diffusion, sur M6, du documentaire de « Zone interdite » consacré à l’islam radical en France, la journaliste qui présente l’émission, menacée de mort, a été placée sous protection policière, ainsi qu’Amine Elbahi, militant associatif de Roubaix. Plus de 160 personnalités, dont des journalistes et des intellectuels, comme Boualem Sansal et Michel Onfray, regrettent le manque de réaction de la profession.
L’heure n’est plus à l’indignation.
Pour avoir simplement fait son travail, la journaliste qui présente l’émission « Zone interdite », Ophélie Meunier, est placée sous protection policière : un reportage télévisé sur l’islam radical, effectué et diffusé en France, déchaîne les réseaux sociaux au point que des menaces de mort ont été proférées.
On a attendu de longues journées avant de lire ou d’entendre les réactions de soutien de ses confrères et consœurs des médias. Il a fallu que les politiques y aillent de leur tweet pour que la corporation des journalistes se réveille. Spontanément ou presque…
En janvier 2015, l’attentat de Charlie Hebdo a suscité une vague de soutien sans précédent dans la profession et levé un formidable mouvement citoyen. La défense de la liberté d’expression n’aura jamais été plus belle et partagée. La liberté d’expression revendiquée dans un reportage présenté par Ophélie Meunier sur M6 ne vaut-elle pas le même sursaut ? Apparemment, non.
Nous sommes en France, en 2022. Que reste-t-il de l’esprit Charlie ? Où sont passés la liberté d’expression et son corollaire nécessaire, la liberté d’information ? On s’est habitués à entendre que des journalistes sont mis en danger dans des zones de guerre et des états totalitaires à travers le monde. Faut-il s’habituer aussi à lire que des journalistes français sont contraints d’être protégés par la police pour avoir enquêté dans leur propre pays ?
C’est dans le pays des droits de l’homme qu’il faut répéter des évidences qui n’en sont apparemment plus : la liberté d’expression est un droit et une liberté fondamentale inscrite dans la déclaration de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. »
Les médias doivent avoir pour socle commun, quelles que soient leurs opinions et obédiences, la défense absolue de la liberté d’expression, du débat démocratique et de l’exigence de l’information.
Le droit d’informer et d’être informé est inaliénable et précieux. C’est la liberté de la presse qui garantit au citoyen de lui fournir toutes les informations, qu’elles lui plaisent ou non, nécessaires pour se forger son opinion librement. Le « Préambule » de la Charte de Munich, adoptée en 1971, s’ouvre sur la proclamation suivante : « Le droit à l’information, à la libre expression et à la libre critique, ainsi qu’à la diversité des opinions est une liberté fondamentale de tout être humain » Il est bien dommage de devoir rappeler ces droits fondamentaux dans le pays où sont nées les Lumières et qui est, rappelons-le, lamentablement classé 34e dans le classement mondial de la liberté de la presse (Reporters sans frontières, 2021)
Dans quelle société veut-on vivre ? Nous, femmes et hommes de médias, photojournalistes, grands reporters, dessinateurs, intellectuels, écrivains, documentaristes, exigeons des mesures rapides pour garantir une liberté d’expression totale en France.
Protégeons la liberté d’informer et d’enquêter, donnons les moyens aux journalistes de faire leur travail, plutôt que de placer chacun sous protection policière. Imagine-t-on vraiment les chaînes de télévision, les journaux, les radios, continuer longtemps à envoyer leurs journalistes dans des zones et sur des sujets qui menacent leur vie… ou leur réputation ? C’est ainsi que se propage le subtil et sournois processus de l’autocensure.
Quant aux menaces de mort sur les réseaux sociaux, pénalisons-les systématiquement, demandons aux réseaux concernés la radiation immédiate et définitive de ceux qui les profèrent.
La liberté commence par la responsabilité de tous et de chacun. C’est maintenant, sept ans après l’attentat de Charlie Hebdo et l’échec total de la prise de conscience qu’on en attendait, qu’il nous incombe à tous de réagir. Les journalistes en reprenant les rênes de leur métier, l’État en leur garantissant des conditions d’exercice libres et honorables, et les citoyens en étant toujours plus exigeants vis-à-vis de l’information qu’on leur propose.
La campagne pour l’élection présidentielle bat son plein, les candidats devraient rappeler inlassablement que le droit et le devoir d’informer sont l’un des socles de notre système démocratique. Et ce n’est, tragiquement, pas le cas.
Karine Papillaud, journaliste, Olivier Weber, écrivain et grand reporter, Patrick Vallélian, grand reporter, directeur de la rédaction de Sept.info et Emmanuel Razavi, grand reporter, directeur de la rédaction de Fildmedia, sont à l’initiative de cette tribune.
Parmi les cosignataires, qui sont plus de 160, figurent, notamment, Alexis Brézet, directeur des rédactions du « Figaro » ; Étienne Gernelle, directeur du « Point » ; Natacha Polony, directrice de la rédaction de « Marianne » ; Laurent Guimier, directeur de l’information de France Télévisions ; Valérie Toranian, directrice de la « Revue des deux mondes » ; Philippe Val, écrivain, journaliste, ancien directeur de « Charlie Hebdo » ; Bernard de La Villardière, journaliste et président de la société de production Ligne de Front ; Sonia Mabrouk, journaliste et essayiste ; Jean-Pierre Elkabbach, journaliste ; Laurence Ferrari, journaliste ; Dimitri Pavlenko, journaliste ; Sara Daniel, journaliste, écrivain ; Régis Le Sommier, ancien directeur adjoint de « Paris Match », auteur, grand reporter ; Boualem Sansal, écrivain ; Kamel Daoud, écrivain ; Michel Onfray, philosophe ; Alexandre Jardin, écrivain ; Pascal Bruckner, philosophe ; Luc Ferry, philosophe ; André Comte-Sponville, philosophe ; Abnousse Shalmani, écrivain, chroniqueuse ; Éric Naulleau, chroniqueur et écrivain ; Jeannette Bougrab, juriste, essayiste, femme politique ; Frédéric Beigbeder, écrivain ; Peggy Sastre, journaliste, essayiste et traductrice ; Céline Pina, essayiste ; Nicolas Bedos, réalisateur et comédien.
La liste complète des cosignataires est à retrouver sur lefigaro.fr
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