" Je vous avoue que j’ai longuement hésité à venir à
l’audience. Mon avocat me déconseillait plutôt de me déplacer, pour conserver,
disait-il, aux débats leur caractère technique.
J’ai décidé pourtant d’assister à cette audience. D’abord
par respect des magistrats, de la cour, et au delà des institutions de la République. Mais
aussi par curiosité. Je voulais comprendre ce qu’on me reprochait. Comprendre
quelle loi ou quelle partie de la loi j’avais enfreint.
Après tout, nul n’est censé ignorer la loi. Je voulais
comprendre pourquoi le procureur, le représentant de l’Etat, m’attaquait pour
des propos qui ne faisaient pourtant que décrire des faits, une réalité,
amplement retranscrite: «des bandes étrangères venues d’Europe de l’Est écument
notre pays», ça passe; mais quand on dit: «des bandes de tchétchènes, Kosovars,
Roms dépècent, dévalisent, violentent, ou dépouillent», ça ne passe pas. Lui
n’est pas déféré, moi, je le suis.
Je comprends bien le point de vue du procureur : il favorise
la concision.
L’ellipse est préférée à la description clinique. Madame le
procureur préfère la pudeur des impressions à l’impudeur du réalisme. Mais
cette querelle littéraire est-elle de la compétence de ce tribunal ? Il faut
alors qu’elle aille au bout de cette logique littéraire.
Qu’elle m’indique les bons mots et les mauvais mots, les
mots autorisés et les mots interdits. Qu’elle redéfinisse les canons de la
profession de journaliste. Que celui-ci ne soit plus tenu d’informer de ce
qu’il voit, mais d’abord d’informer ce qu’il ne voit pas, mais qu’il est bon de
voir.
J’avoue ma perplexité. Je n’ose penser que ce ne sont pas
les mots qui comptent, mais ma personne. Il y a quatre ans, le procureur
m’avait expliqué que ma notoriété fort grande avait pour corollaire une responsabilité
aussi grande. Je constate qu’en quatre ans, j’ai encore pris du galon, puisque
je suis davantage responsable, et donc davantage condamnable, qu’un ministre de
l’intérieur lui-même.
Mais j’ai compris en écoutant avec soin ces débats, que ce
ne sont ni mes mots ni ma personne qui importaient, mais mes pensées. Même pas
mes pensées, mais mes arrière-pensées. Dans le passé, nous avions ainsi le
tribunal de l’Inquisition qui dénichait la persistance des pensées hérétiques
chez des marranes convertis au catholicisme. Nous avons eu plus récemment les
grands procès staliniens qui traquaient les intentions contre-révolutionnaires.
A la suite de la parution de mon livre, le Suicide français,
le premier secrétaire du parti au pouvoir avait dénoncé la zemmourisation de la
société. Le premier ministre avait expliqué que mon livre n’était pas digne
d’être lu, le ministre de l’Intérieur avait appelé à manifester contre moi, et
le président du groupe socialiste à l’Assemblée Nationale avait sollicité de
mes employeurs qu’ils mettent fin à mes collaborations à leurs medias.
Marie-Anne Chapdelaine, Une députée d’Ille-et-Vilaine, me
chassait carrément de France : «Monsieur Zemmour, la République, on l’aime
ou on la quitte ».
Aujourd’hui, je vis la version judiciaire de cette offensive
médiatico-politique. On prétend faire du droit, mais derrière les arguties, ce
n’est qu’une bataille politique pour me faire taire.
Il y a six mois, des millions de Français défilaient dans la
rue pour défendre la liberté d’expression. Les malheureuses victimes de Charlie
Hebdo avaient subi aussi une condamnation judiciaire venue d’un tribunal
islamique qui les avait condamnés à mort pour blasphème. Si je comprends bien
ce qui m’est reproché, la liberté d’expression, c’est bon pour les dessinateurs
de Charlie, mais ce n’est pas bon pour moi. Parce qu’eux sont gentils, et moi,
je suis méchant.
Eux ont des bonnes arrière-pensées, et moi j’en ai de
mauvaises. Si je comprends bien, nous vivons toujours sous le règne de la
phrase de Saint-Just : «pas de liberté pour les ennemis de la liberté». Cela
s’appelait la Terreur.
"
Eric ZEMMOUR
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