Par Pierre Brunet de Causeur
Une vidéo, tournée clandestinement, fait scandale auprès des
humanistes. Parce qu’elle montre une personne, Vincent Lambert, regarder
son frère qui lui parle, et aussi baisser les yeux, comme quelqu’un qui
écoute, quand on lui met près de l’oreille un téléphone lui
transmettant la voix de sa mère. Le scandale est si grand que le CSA
enquête. Le scandale est intolérable, parce que des pontes de la
médecine, et une partie de « ses proches » veulent le laisser mourir de
soif et de faim. Par humanisme. Pour sa dignité. Et bien sûr, si les
gens regardent cette vidéo, ça va être moins facile de faire ça. Il va y
en avoir, comme moi, qui vont se dire que c’est un être humain, avec un
visage d’être humain, pas un visage de légume, pas une asperge perfusée
de partout qu’il faudrait juste mettre dans un doggy bag une fois
qu’elle sera toute sèche.
C’est une curieuse injonction morale, quand on y réfléchit, que de
nous expliquer, que, par humanisme et au nom de sa dignité, il faudrait
laisser mourir de soif et de faim une personne. Et aussi parce que ça
commence à coûter cher, de la maintenir en vie, cette personne. Et
attention, on ne parle pas de l’aider à mourir par une injection létale,
un sédation définitive et rapide, non, ça, ça serait un acte, quelque
chose qui demanderait une forme de responsabilité. Non non, là, on
voudrait juste « arrêter », de faire, pas « faire quelque chose ». Mais
arrêter de faire, en l’espèce, cela veut dire laisser mourir quelqu’un
de soif et de faim. Et, il faut le rappeler, c’est une des formes
d’agonie les plus atroce qui soit, qui peut être assez longue, avec des
manifestations de souffrance du corps dont, bien sûr, les pontes de la
médecine ne parleront pas Ou plutôt, ils parleront de « mouvements
réflexes ». Les pontes de la médecine adorent parler de « mouvements
réflexes » quand la souffrance ne les intéresse pas. Il n’y a pas si
longtemps, par exemple, ils avaient décidé que les nourrissons ne
souffraient pas, jamais. Si quelque chose ressemblait chez ceux-ci à des
manifestations de douleur, il ne pouvait, bien sûr, s’agir que de
mouvements réflexes.
J’aimerais bien qu’on m’explique pourquoi des gens qui ont fait le
serment d’Hippocrate trouvent tout à fait normal, digne et moral de
laisser mourir quelqu’un de soif et de faim; et pourquoi le scandale
consiste à filmer cet être humain, et son humanité, plutôt que de
projeter son abandon jusqu’à ce qu’il en crève. Mais bien sûr, son
horrible agonie sera silencieuse, c’est ce qui compte. Que des
mouvements réflexes, pas de souffrance. Et les humanistes seront
contents. Il n’y aura pas eu d’acharnement. Ce n’est pas bien
l’acharnement, ça coûte cher au contribuable, et c’est gênant, ça nous
rappelle notre irréductible, vulnérable, fragile et dépendante humanité.
Mais c’est parce que nous sommes encore une civilisation capable
d’aimer une personne qui n’a pas bougé de son lit d’hôpital depuis des
années, que nous avons le droit de nous dire différents de ceux qui
égorgent les êtres humains comme des moutons. Sinon taisons-nous. Nos
discours ne sont que les mouvements réflexes d’une humanité en laquelle
nous ne croyons plus.
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