"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

lundi 17 mars 2025

Lecture

 

« …Les Français n'existeraient pas, si ce n'est d'après leurs papiers, parce que personne n'aurait jamais su donner d'eux une définition qui satisfasse tout le monde, et surtout qui englobât tous les aspects de la question, ou du concept. Il ne faut pas dire "les Arabes", quand on parle des musulmans, parce que tous les Arabes ne sont pas musulmans. Il ne faut pas dire "les musulmans", quand on parle des Arabes, même en France, parce que tous les musulmans ne sont pas arabes, il s'en faut de beaucoup. Ces arguties usées et usantes, qui supposent toujours l'autre imbécile, ou très ignorant, ou de mauvaise foi, procèdent d'un très profond malentendu sur la nature et la fonction des définitions. Il faudrait définir le mot "définition". Les procédés d'obstruction du débat supposent, ou affectent de supposer, que la définition est première, dans un mot, et même dans la chose qu'il désigne ; que la définition est une espèce de loi fondamentale et principielle, qui pose une fois pour toutes et sans équivoque ce que sont les mots et les choses, lesquels vont devoir se conformer docilement à elle, ou renoncer à s'échanger, voire à exister. Mais la définition n'a jamais été cela... la définition n'a jamais été première. Elle n'a jamais précédé ce qu'elle définit. Au contraire, elle court éternellement après les mots et les choses, en essayant de les circonscrire comme elle le peut, le plus précisément et étroitement qu'elle en est capable. Cependant elle n'y parvient jamais tout à fait : sinon la carte serait aussi grande que le territoire, la quatrième de couverture aussi longue que le roman, l'abyme aussi large que l'écu. Il y a toujours du JEU, Dieu merci : la littérature, par exemple, ou le style, ou l'humour ; et, même quand ils sont couronnés de succès, les efforts de la définition pour coïncider exactement avec ce qu'elle définit sont incessamment menacés par les remises en cause, les malentendus, les incidents frontaliers. ».


Renaud Camus


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