Faut-il comptabiliser le temps de parole des éditorialistes ? C'est la proposition pour le moins audacieuse qu'a faite le député européen (LREM) Stéphane Séjourné dans les colonnes de nos confrères de L'Opinion mercredi. Il propose de « compter dans le temps de parole des politiques les éditorialistes les plus engagés » comme « Eric Zemmour » dont la« parole politique n'est comptée nulle part » et ambitionne pour cela de « préciser l'arsenal réglementaire pour aider l'audiovisuel à respecter la pluralité des opinions ».
Ce n'est pas la première fois que la question se pose. En octobre dernier, la journaliste médias de France Inter Sonia Devillers avait interrogé le président du CSA au sujet des « éditorialistes, des Michel Onfray, des Zineb El Rhazoui, des Rokhaya Diallo, des Gabrielle Cluzel ». « Ces gens ne sont pas encartés mais leur parole est éminemment polémique, politique. Pour comptabiliser, pour mesurer, pour identifier la parole de ces gens-là, avez-vous des outils pour mesurer ? » avait demandé la journaliste à son invité évasif. Depuis, Roch Olivier Maistre a clairement répondu dans les colonnes du Figaro : « le CSA n'est pas le tribunal de l'opinion ».
On peut sourire d'une proposition aussi fantasque que fastidieuse à mettre en œuvre. Sur le principe, qu'est-ce qui distingue un éditorialiste « engagé » d'un éditorialiste « normal » ? Où fixer la limite entre opinion et « parole politique » ? Si un journaliste de gauche dit du bien d'un homme politique de droite, dans quelle colonne inscrire son temps de parole ? On peut même franchement rire quand le conseiller d'un président de la République qui a donné un entretien à McFly et Carlito accuse une chaine d'info continue de participer à « l'abaissement du débat ».
Le pluralisme est constitutif de la démocratie. Il devrait d'ailleurs être davantage respecté sur le service public financé par les impôts de l'ensemble des Français, où l'on trouve dans certaines émissions peu de contributeurs de droite. Il est bon par ailleurs qu'une offre diversifiée existe dans les kiosques et sur les chaînes de télévision. Astreints au respect du pluralisme en ce qui concerne les invités politiques, les médias et chaînes privées n'ont pas cette obligation en ce qui concernent leurs intervenants et chroniqueurs, et les téléspectateurs peuvent tout à fait voter avec leur zappette ou leur abonnement. Il est de bon ton de critiquer le ton monochrome des intervenants de Cnews, mais selon un sondage mené en interne 70% des salariés de Libération ont voté pour Hamon et Mélenchon… Faut-il leur imposer des journalistes de droite ? Personne n'est obligé d'acheter Libé ou de regarder Cnews.
Cette proposition sans queue ni tête de Stéphane Séjourné traduit un double malaise face à la liberté d'expression.
Malaise de l'homme politique d'abord. « L'hyper-éditorialisation des programmes pratiqués par des commentateurs ne doit pas aboutir à l'effacement des politiques.» affirme également Stéphane Séjourné , ajoutant : « progressivement, les éditorialistes ont remplacé les responsables politiques. ». En effet, la démonétisation de la parole politique par « le coup de com' permanent » (Arnaud Benedetti) et son affadissement par la terreur du politiquement correct ont laissé la liberté d'expression se réfugier dans la sphère médiatique. Entre la langue asséchante de l'expert et la xylolalie du politique, l'intellectuel et l'éditorialiste se font les porte-voix des angoisses des citoyens. Avant de jalouser leur pouvoir, les hommes politiques devraient s'interroger sur leur propre incapacité à «imprimer »le débat.
Malaise de l'homme de gauche, ensuite (rappelons que Stéphane Séjourné vient de l'UNEF et du Parti socialiste). « La gauche a tellement l'habitude de dominer que lorsqu'elle est contestée, elle se croit assiégée. » dit très justement Mathieu Bock Côté. Sentant qu'elle perd du terrain lorsque le libre jeu des idées s'exerce, la gauche tente de mettre en œuvre une forme de protectionnisme de la pensée, en contrôlant la parole adverse plutôt qu'en la contrant de façon argumentée.
Enfin, cette vision du débat démocratique où il faudrait absolument contrôler l'offre médiatique traduit une infantilisation du téléspectateur, jugé trop influençable pour savoir prendre avec recul les discours qui lui sont présentés. Mais les Français ne sont pas des enfants à la cantine à qui il faut faire manger 5 fruits et légumes par jour et peuvent décider eux-mêmes ce qu'ils veulent regarder.
Quoi qu'il en soit, cette prise de position inattendue et outrancière d'un membre éminent de la macronie est bien le signe que la bataille pour l'hégémonie culturelle sera plus que jamais au cœur de la présidentielle.
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