Pourquoi, lorsque Édouard Philippe a honoré la mémoire d’Hô
Chi Minh, scandale aussitôt justifié dans la presse par l’hommage qu’il aurait
aussi rendu aux combattants de Dien-Bien-Phu – comme si enfumer du même coup
d’encensoir les victimes et leur bourreau pouvait faire souffler l’esprit de
paix et de justice -, ai-je pensé à vous, Madame ?
Pourquoi dans cette gouvernance, comme disent les gens
chics, de la confusion et du en même temps, en particulier historique, où
chacun serait à la fois ange et démon – et surtout démon, en réalité, lorsqu’il
est français -, ai-je revu « l’ange de Ðiện Biên Phủ » ?
J’ai fait votre connaissance par personne interposée à un
déjeuner familial, à l’âge où on s’y ennuie ferme et où, faute de pouvoir se
lever de table, on bombarde les cousins de boulettes de mie de pain en écoutant
d’une oreille les conversations des grands. J’ai entendu votre nom, un oncle
parlait de vous. Frissonnante, je me suis imaginée à votre place, infirmière
volontaire dans l’enfer de Ðiện Biên Phủ. Ou plutôt non, j’ai surtout pensé que
la froussarde patentée que j’étais n’aurait jamais pu.
Puis je vous ai revue quelques années plus tard dans une
bibliothèque antédiluvienne, sur la couverture d’un vieux, très vieux Paris
Match, sous ce titre : « La France accueille l’héroïne de Ðiện Biên Phủ », à la
place exacte qu’occupent aujourd’hui Marc-Olivier Fogiel et son « combat » pour
la GPA. Chaque époque a les combattants qu’elle mérite.
Je vous ai rencontrée, enfin, « pour de vrai » il y a deux
ans, à un mariage, vous étiez assise, fragile, élégante et souriante, j’ai eu
du mal à vous approcher, de jeunes officiers empressés vous entouraient, comme
si malgré vos 90 ans vous étiez Scarlett O’Hara. Ils voulaient vous faire part
de leur admiration et buvaient vos paroles.
Pourquoi ai-je envie de parler de vous aujourd’hui ? Plutôt
que dénoncer cette nouvelle trahison, devenue, dans son genre, presque banale,
et qui n’est sans doute pas la dernière, je préfère mettre en avant ce qui est
beau, bien et vrai et que l’on ne montre pourtant jamais. Une jeune fille de
tête – mais peut-il en être autrement quand on s’appelle Geneviève ? – qui n’a
pas attendu nos féministes pour oser l’héroïsme et qui, au péril de sa vie, a
soigné des malades, assisté des mourants, caché dans sa civière des médicaments
à l’insu des Viet-Minhs, ce qui demande un peu plus de courage, on en
conviendra, que de provoquer dans les églises avec ses nibards, son œil hagard
et son verbe braillard – suivez mon regard. Chaque époque a (aussi) les égéries
qu’elle mérite.
Le temps passe, les témoins de cette guerre se font rares.
Je vous imagine, silencieuse, votre mémoire comme un sanctuaire, et me dis que
les mots que d’autres peuvent prononcer, finalement, ne sont rien, du vent, de
l’air. Un jour prochain, c’est certain, l’Histoire rendra justice à ces soldats
qui se sont sacrifiés et pour lesquels la vision de « l’ange de Ðien-Bien-Phủ »
a été peut-être comme un avant-goût du ciel.
Ce jour-là, ceux qui, par désamour de la France ou
simplement par ignorance bête, auront fait des courbettes devant Hô Chi Minh
auront bonne mine…
Gabrielle Cluzel
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