Si l’homme peut décider par
lui-même sans Dieu, de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, il peut aussi
disposer qu’un groupe d’hommes soit anéanti. Des décisions de ce genre furent
prises par exemple sous le Troisième Reich, par des personnes qui, étant
arrivées au pouvoir par des voies démocratiques, s’en servirent pour mettre en
œuvre les programmes pervers de l’idéologie nationale–socialiste qui
s’inspiraient de présupposés racistes. Des décisions analogues furent prises
par le parti communiste de l’Union soviétique et des pays soumis à l’idéologie
marxiste. C’est dans ce contexte qu’a été perpétrée l’extermination des juifs,
de même que celle d’autres groupes, comme par exemple l’ethnie rom, les paysans
d’Ukraine, le clergé orthodoxe et catholique en Russie, en Biélorussie et
au-delà de l’Oural. De manière analogue, les personnes gênantes pour le régime
furent persécutées : par exemple les anciens combattants de septembre
1939, les soldats de l’armée nationale en Pologne après la seconde guerre mondiale,
les représentants de l’intelligentsia
qui ne partageaient l’idéologie marxiste ou nazie. Il s’agissait
normalement d’élimination au sens physique mais parfois aussi d’élimination au
sens moral : la personne était empêchée d’exercer ses droits, de manière
plus ou moins drastique.
Parvenus à ce point, on ne peut
omettre d’aborder une question plus que jamais actuelle et douloureuse. Après
la chute des régimes édifiés sur les « idéologies du mal », dans les
pays concernés, les formes d’extermination évoquées ci-dessus ont en fait
cessé. Demeure toutefois l’extermination légale des êtres humains conçus et non
encore nés. Il s’agit encore une fois
d’une extermination décidée par des
Parlements élus démocratiquement, dans lesquels on en appelle au progrès civil
des sociétés et de l’humanité entière. D’autres formes de violation de la loi
de Dieu ne manquent pas non plus. Je pense par exemple aux fortes pressions du
Parlement européen pour que soient reconnues les unions homosexuelles comme une
forme alternative de famille, à laquelle reviendrait aussi le droit d’adopter.
On peut et même on doit se poser la question de savoir s’il ne s’agit pas, ici
encore, d’une nouvelle « idéologie du mal », peut être plus
insidieuse et plus occulte, qui tente d’exploiter, contre l’homme et contre la
famille même, les droits de l’homme.
Pourquoi tout cela arrive
t-il ? Quelle est la racine de ces idéologies de l’après lumières ?
En définitive, la réponse est simple : cela arrive parce que Dieu en tant
que créateur a été rejeté, et du même coup la source de détermination de ce qui
est bien et de ce qui est mal. On a aussi rejeté la notion de ce qui, de
manière plus profonde nous constitue comme êtres humains, à savoir la notion de
« nature humaine » comme « donné réel", et à sa place, on a mis
un « produit de la pensée » librement formée et librement modifiable
en fonction des circonstances. Je considère qu’une réflexion plus attentive sur
cette question peut nous conduire au-delà de la rupture cartésienne. Si nous voulons
parler de manière sensée du bien, et du mal, nous devons revenir à saint Thomas
d’Aquin, c'est-à-dire à la philosophie
de l’être. Grâce par exemple, à la méthode de la phénoménologie, on peut
examiner des expériences comme celles de la moralité, de la religion, ou de
l’être-homme, en en tirant un enrichissement significatif pour nos
connaissances. On ne peut cependant oublier que toutes ces analyses
présupposent implicitement la réalité de
l’être-homme, à savoir qu’il existe un être créé, et aussi un être absolu. Si
l’on ne part pas de tels présupposés « réalistes », on finit par se
mouvoir dans le vide.
Jean Paul II, Mémoire et identité (2005)
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