Les
membres du Conseil constitutionnel, consultés par le président
François Hollande, n’ont pas jugé nécessaire d’insérer dans
la Constitution française une clause permettant la ratification du
«traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au
sein de l’Union économique et monétaire» et nous revient
tristement à l’esprit une cruelle phrase de François Mitterrand
: «Les
membres du Conseil ? On les dit serviles, mais ils ne sont
qu’obéissants !»Conçu
à l’initiative de l’Allemagne, ce texte a été signé par
Nicolas Sarkozy avant l’élection présidentielle sous la seule
invocation, inlassablement répétée, d’une vertueuse «règle
d’or» propre à nous protéger de coupables dérives financières.
Rares furent donc les hommes et femmes politiques assez lucides,
libres et courageux pour dénoncer, au cours de la campagne
présidentielle, les mécanismes vicieux d’un texte resté quasi
secret.
François
Hollande, candidat, avait cependant marqué très vite et sans
hésitation apparente sa volonté de renégocier ce traité
castrateur : l’espoir renaissait, on allait voir ce que l’on
allait voir ! On a vu. Mme Merkel accepta du bout des lèvres
quelques dispositions en faveur de la croissance, mais de
renégociation, point. Puis elle partit à Bayreuth écouter Wagner.
On espérait d’identiques atermoiements chez nos dirigeants
puisque, chacun le sait, l’élection présidentielle américaine
tend à mettre l’avenir en suspens. Mais non, François Hollande
saisit sans trop attendre le Conseil constitutionnel… et les
membres de cette assemblée viennent de décider, sans barguigner
semble-t-il, de jouer les Ponce Pilate. Leur décision constate juste
que le traité sur lequel ils sont consultés «ne
comportant aucune clause contraire à la Constitution», ils
ne jugent pas nécessaire de modifier celle-ci préalablement au
vote, par le Parlement, d’une loi en autorisant la ratification.
Or,
il s’agit bien d’un traité contraire à la Constitution puisque,
en l’état des textes en vigueur, celle-ci ne permet la
participation de la République à l’Union européenne qu’«en
vertu du traité sur l’Union européenne et du traité sur le
fonctionnement de l’Union européenne tels qu’ils résultent du
traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007».
Si tel était le cas, un nouveau traité n’aurait évidemment pas
été nécessaire. Or il l’est, et d’abord pour le repos du
gouvernement allemand, en raison des obstacles quasi insurmontables
posés par la combinaison des multiples impératifs financiers ou
économiques encadrant les gouvernements des pays concernés.
Il
ne s’agit pas seulement de questions de forme ou de commodités de
procédure, mais d’un réseau de contraintes directes et indirectes
dépossédant les parlements nationaux (si l’on ose encore les
nommer ainsi) des compétences budgétaires et financières qui
constituent le centre de leurs attributions. La finalité non dite
étant de limiter étroitement la charge éventuelle d’un soutien
minimal dû aux Etats les plus faibles par les plus prospères. Le
cœur du traité atteint bien plus profondément la souveraineté du
peuple français et le fonctionnement de la République que
l’adoption d’une simple règle d’or. Non seulement il détermine
pour les Etats membres des exigences rigoureuses d’équilibre
budgétaire dans les conditions fixées par la Commission européenne,
mais il en enserre l’application dans des mécanismes de correction
automatiques fixés par la Commission. Pire, il organise un contrôle
étroit des parties contractantes par la Cour de justice européenne,
laquelle peut être saisie soit par une action spontanée de la
Commission, soit par une saisine de celle-ci à la requête d’une
ou plusieurs parties contractantes, soit même par une saisine
directe de l’une d’entre elles.
Ce
n’est plus une incitation à la vertu, c’est une ceinture de
chasteté faite de contraintes rigides et aliénantes qui n’existent
sans doute dans aucun Etat fédéral. Elles sont proprement
inacceptables. Les citoyens le savent, ils le sentent, ils ne veulent
pas des contraintes dont ils ne perçoivent aucunement la finalité,
mais ils constatent en même temps que, lors des choix déterminant
leur destin, toute expression de «leur» souveraineté leur est
interdite.
Le
référendum de 2005 a marqué un tournant dans l’exigence d’une
expression populaire directe dont la frustration ultérieure sera de
plus en plus profondément ressentie. Jacques Chirac, qui respectait
le peuple, s’était engagé à lui soumettre par référendum la
ratification du traité de Lisbonne portant «Constitution pour
l’Europe». Il tint parole et ce traité calamiteux fut repoussé
par 55% des électeurs… alors que la révision avait été
approuvée par 92% des députés ! La méfiance qu’inspirent au
peuple les politiciens et les incertitudes d’élus caporalisés
proviennent aussi de cette humiliante claque. N’évoquons pas, par
charité, le détestable «manquement aux obligations de sa charge»
commis par Nicolas Sarkozy qui osa faire voter à nouveau, en 2007,
les élus du peuple souverain à l’encontre de la décision prise
par celui-ci deux ans plus tôt. Ni le déshonneur des élus qui,
oubliant leurs anciens engagements, se sont soumis à cette
injonction. Les élus ne sont jamais que des mandataires. «La
souveraineté appartient au peuple et nul ne peut exercer d’autorité
qui n’en émane expressément.» Tel
n’est pas le cas des partis. Lorsque les citoyens élisent leurs
députés, ils ne votent pas pour un ou des «partis», ils votent
pour un homme chargé de participer à la construction de la
communauté nationale en fonction de leurs vœux, d’en porter
l’expression et non de l’étouffer. Se rendent-ils compte, ces
élus, lorsqu’ils privilégient une sacro-sainte unité des partis
- d’ailleurs fictive - à l’expression des convictions de leurs
mandants, qu’ils marquent une sujétion et amputent le rapport
politique entre le pouvoir et le peuple qui fonde la démocratie ?
Marie-France
Garaud
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