
C’était les mid-seventies. Nous étions « jeunes et larges d’épaules ». Tous les possibles s’offraient, croyait-on, à nous. Le ciel était notre seule limite. C’est à ce moment là que j’ai eu la chance pendant mes études, peut être comme certains d’entre vous de rencontrer un professeur qui a marqué ma vie à tout jamais.
Cela s’est passé dans un lycée un peu particulier. J’y ai fait la rentrée de 1975. Je crois n’avoir aucun souvenir des surveillants, pas plus que du reste de l’administration, tant ils étaient absents voire invisibles. Je venais de me faire virer de Val de Seine, un lycée caserne. Mon prof d’anglais au conseil de classe avait dit à la directrice « c’est lui ou c’est moi ». Ce fut moi. La directrice n’a pas du hésiter plus que le temps d’une ou deux remontées gastriques. Voilà comment je me suis retrouvé aux Bruyères, le lycée à l’époque, qui était ce qui se faisait de plus proche de Summerhill, pour ceux à qui cela dit encore quelque chose. Un lycée presque autogestionnaire, enfin au moins autogéré sur le plan éducatif par les profs. Cela tombait bien. Autogestionnaire, ils l’étaient tous. Les autres étaient barges. Je me souviens de mon professeur d’allemand qui me voyant fumer la pipe au dernier rang de son cours, plutôt que de me virer, m’avait demandé ce que je fumerai à 60 ans avant de poursuivre ses déclinaisons!
C’est dans ce lycée que mon chemin a croisé celui de Jean Paul Hébert. Il est devenu mon Professeur de sciences économiques pour trois ans. Sciences éco? L’économie, « cette science qui depuis le temps des esclaves, justifie la richesse des maîtres » selon l’expression d’un philosophe, dont, à cette heure le nom m’échappe. Il n’avait pas croisé Jean Paul Hébert. Son jugement en eut été, radicalement, changé.
J’attendais ses cours avec impatience et j’y assistais avec passion. Une même passion qui animait ce jeune professeur d’à peine 30 ans dans le plaisir de nous transmettre son savoir, de développer notre sens critique et d’éveiller chez certains une conscience politique. Avec lui et grâce à lui, heure après heure de cours, le monde qui nous entourait devenait de plus en plus compréhensible. Si ce blog existe, Jean Paul Hébert y est pour quelque chose.
Autogestion ne voulait pas pour autant dire absence de respect, même si les relations avec nos professeurs se teintaient de sympathie voire d’amitié (il y eut même des histoires d’amours). Nous étions là pour apprendre et eux pour nous élever, dans le sens « élévation de l’être ». Nul besoin pour eux de faire péter les galons, leurs compétences suffisaient.
Plus largement que le professeur, c’est l’homme qui m’a marqué. Jean Paul était aussi un marin, un guitariste, un conteur, un fin analyste politique. Jean Paul était un puits de sciences. Je me souviens de son humanité. J’étais, bien malgré moi et ayant pourtant voté pour Alice Cooper (ça vient de là), délégué de classe et je me souviens que lors des conseils, il tempérait de façon sûre, et si j’osais, d’une force tranquille, les aigreurs et excès de certains de ses collègues vis-à-vis des élèves fumistes ou un peu cons.
A quelque uns, nous nous sommes sans doute remémorés en apprenant la nouvelle de sa disparition, les fêtes du PSU à la Courneuve, où il nous emmenait, ou au « yaourt » du Havre où Henri Tachan et François Béranger étaient les vedettes d’un soir, ou encore les réunions au siège régional du PSU, avenue Pasteur. C’est un monde qui me parait être « le lointain proche ». Lointain dans notre époque, mais si proche dans ma mémoire. Mais mes Chers Compatriotes, rassurez vous, en ce temps là déjà, lorsqu’on m’appelait « camarade », cela me faisait rigoler.
Il est exact que le temps est passé par là, qu’au fil des années, nos idées ont divergé, mais c’est toujours avec gourmandise que j’écoutais Jean Paul Hébert sur RCF où il dissertait avec le même humour que par le passé même si les sujets étaient devenus plus graves.
La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, je lui avais demandé pourquoi il avait quitté son poste au lycée des Bruyères. Je me souviens de son sourire narquois, celui qui chez lui précédait toujours un bon mot où une réponse teintée d’ironie et de dérision. Mais cette fois, ce sourire trahissait la déception. « Cela a tellement changé » m’avait-il répondu.
« On fumait des Gauloises bleues ». Je crois que c’est une chanson d’Yves Simon. Elles ont donc fini par avoir raison de vous, Jean Paul. A l’heure où l’on vous porte en terre, je veux garder présent à l’esprit le souvenir de la verve du militant PSU, ancien séminariste et de ses cours « d’éco » donnés au printemps sur la pelouse du parc des Bruyères, pendant lesquels vous nous éleviez.
Cher Jean Paul, mon respect et mon amitié vous accompagnent. Merci de m’avoir tant aidé à me construire à un age où l’on peut si facilement choisir le mauvais chemin.
Qu'il me soit permis de présenter ici mes condoléances à tous ses proches.
C.D
Lien de la vidéo de la conférence donnée en octobre 2009 à Montréal sur le thème du désarmement par J.P. Hébert: http://tv.uqam.ca/?v=52596
Article paru dans PN sur Jean Paul Hébert. Cliquer sur l'image
